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Catherine ALVARESSE, France 2

25 nuances de doc :

« un lieu d'écriture documentaire »

© France Télévisions

À l’occasion du lancement de « 25 nuances de doc », la nouvelle case de France 2 entièrement dédiée au cinéma documentaire, Film-documentaire.fr a rencontré la directrice de l’unité documentaire et des magazines culturels de la chaine, Catherine Alvaresse. 

Quels sont les grands axes de la politique globale de la chaine en cette rentrée documentaire ?

 

A l’exception de la création de « 25 nuances de doc », il n’y a pas de grands changements par rapport à l’année précédente, plutôt des inflexions éditoriales. Les « prime » restent à l’honneur, ce qui est très important pour une grande chaine historique comme France 2. Ils s’appuient toujours sur deux piliers : la découverte, l’animalier, de Yann Arthus-Bertrand au documentaire Le plus bel ami de l’homme (real. Frédéric Fougea), et l’histoire, avec à la fois ses tendances de type Apocalypse, à l’image de Jeunesses hitlériennes (real. David Korn Brzoza) qui arrive bientôt à l’écran, et sociétales qui avaient été initiées par mon prédécesseur avec L’épopée des gueules noires (real. Fabien Beziat et Hugues Nancy). Nous travaillons sur deux grandes soirées sur l’histoire de l’immigration en France, l’histoire des mères françaises de 1918 à nos jours... Nous cherchons des manières nouvelles de raconter notre histoire, de nous la réapproprier, avec des archives colorisées et des entretiens. Nous continuons à nous essayer à de nouvelles écritures, comme l’animation en travaillant par exemple sur un projet consacré à Notre Dame de Paris avec l’équipe qui avait réalisé Le Dernier Gaulois (real. Samuel Tilman).

 

« Infrarouge » demeure incontournable. Les films restent singuliers, ce sont les mêmes écritures, la même force sociétale. La grande nouveauté de la rentrée est sa présentation : nous voulions que Marie Drucker incarne cette case. En premier lieu pour assurer une meilleure lisibilité au sein d’une grille déjà très incarnée, ensuite avec la création de « 25 nuances de doc » il était important pour nous de distinguer les deux espaces. Marie ne présentera pas « 25 nuances de doc », elle l’annoncera. « 25 nuances de doc » n’est certainement pas une sous-catégorie d’« Infrarouge » : il n’y a pas d’échelle de valeur, c’est une autre ouverture documentaire. De plus, nous allons ponctuer « Infrarouge » une fois par mois par un entretien afin de proposer une piste d’atterrissage aux téléspectateurs et approfondir le discours proposé par le film. Nous l’avons fait pour Harcèlement sexuel au travail, l'affaire de tous (real. Andrea Rawlins-Gaston et Laurent Follea), et nous le ferons par exemple sur le thème de l’excision, un film à venir. Enfin, « Grandeurs Nature » continue, mais à 15h, avec un seul film. 

Etes-vous prêts à un effort de communication sur le documentaire à l’occasion du lancement de « 25 nuances de doc », tant attendu par l’ensemble de la profession ? Comment définir l’identité de cette nouvelle case ?

 

Considérant le peu de temps dont nous disposions entre l’annonce et le démarrage de la case, « 25 nuances de doc » était un pari ! Nous avons 25 objectifs. Cette année, en raison des délais courts, nous aurons plus d’achats (15) que de préachats (10), mais notre souhait est d’arriver à l’équilibre.

 

Comme son nom l’indique, inspiré de l’emblématique 25e heure, la case propose toutes les nuances de documentaires : la case oscille entre la cinémathèque – avec des films qui ont fait date et école, comme La Conquête de Clichy (real. Christophe Otzenberger) ou Paris is burning (real. Jennie Livingston), qui était en lice pour les Oscars il y a quelques années, et des documentaires comme The Act of Killing (real. Joshua Oppenheimer), Iranien (real. Mehran Tamadon), Norilsk, L'étreinte de glace (real. François-Xavier Destors), La Sociologue et l’Ourson (real. Mathias Théry et Étienne Chaillou) …

La Sociologue et l'ourson, Mathias Théry et Étienne Chaillou, 2015,

© Quark Productions 

L’objectif, c’est de proposer aux téléspectateurs un rendez-vous documentaire, une grande soirée sur France 2, le mardi soir : le prime-time, « Infrarouge » et « 25 nuances de doc ». Les films proposés dans « 25 nuances de doc » ne démarreront jamais avant minuit. Nous essaierons autant que possible, sans envisager nécessairement des soirées thématiques, de donner un sens à cette programmation.

 

Quelles sont précisément vos exigences par rapport aux films programmés dans « 25 nuances de doc » ? Où tracez-vous la limite entre l’audace formelle que vous prônez et la nécessité de rester accessible au plus grand nombre ? 

 

C’est un lieu d’écriture où le récit doit rester toujours accessible. Ce n’est pas un lieu expérimental, mais les films doivent revendiquer une signature d’auteur forte. Ce sont des films de festivals, des films d’ouverture sur le fond et la forme, qui doivent transmettre le plaisir du cinéma. Le documentaire possède autant cette richesse d’écriture que le film de cinéma. De nombreux films de notre programmation sont d’ailleurs sortis en salles. Au-delà de ces critères, tout est permis.

 

Nous proposons un espace d’écriture documentaire avec l’espoir de procurer du bonheur au public du documentaire en lui proposant de revoir ou de découvrir des pépites du genre.  Mais nous sommes également une chaine grand public et nous l’assumons. Nous voulons élargir le public du documentaire : tout le monde est capable de regarder La Conquête de Clichy ou The Act of Killing.

The Act of Killing, Christine CynnJoshua OppenheimerAnonymous, 2012, © Final Cut For Real

Le spectre des films programmés pour cette première saison est très vaste…

 

C’est ce qui fait la richesse de la case. Nous pourrons y voir des films iraniens (Iranien), polonais (Communion, real. Anna Zamecka), américains (Bobby Jene, real. Elvira Lind)... Des films français comme La Forge des Âmes, des films produits sur d’autres plateformes de diffusion comme Lève-toi et marche (real. Matthieu Firmin) sur Spicee, des films autoproduits auxquels nous donnons une nouvelle visibilité, comme Tu seras suédoise, ma fille (real. Olivier Jobard et Claire Billet). L’idée c’est de faire de cet espace autant une cinémathèque qu’une pépinière de nouveaux talents, comme Maxime Faure ou la photographe Fanny Tondre. Notre objectif consiste aussi à maintenir cet équilibre.

 

Ces films vous sont proposés ou partez-vous à leur recherche ?

 

En ce qui concerne les achats de films étrangers, avec Alexandre Marionneau, en charge de la case, nous allons les chercher essentiellement dans les festivals. Ce genre de films circule beaucoup, il faut être bien au fait du circuit du documentaire. Pour les préachats, ce sont surtout les auteurs ou les producteurs qui viennent nous voir. Alexandre nous dit que nous avons dû recevoir environ 200 films existants et presque autant de projets. Les contacts avec ces films se font aussi par préconisation des uns ou des autres ; nous avons des sentinelles partout !

 

Cette volonté d’ouverture internationale vient-elle aussi combler l’absence de cinéma documentaire sur les grandes chaines publiques ?

 

Pour moi, cette ouverture internationale était très importante. C’est un marché que je connais bien et venant d’une chaine beaucoup plus ouverte comme Arte, j’étais un peu frustré sur ce point en arrivant à France 2. Dans ces festivals comme l’IDFA, Hot Docs et bien d’autres, on voit des films formidables, très singuliers. Ces films n’ont pour la plupart jamais été vus en France, même lorsqu’il s’agit de films finis et plus anciens. Grâce à cette case, nous pourrons voir et entendre des films danois, italien, russe, polonais, américain... qui seront sous-titrés : je suis d’ailleurs très heureuse que la chaine l’ait accepté. C’est ça le cinéma ! C’est ce que nous voulons offrir, avec l’envie de partager notre passion, comme une sorte de ciné-club. Et pourquoi pas susciter des vocations ?

 

Vous évoquez le désir de programmer des œuvres documentaires qui ont fait date, avec notamment La Conquête de Clichy : jusqu’où souhaitez-vous aller dans cette direction ?

 

Quand nous avons commencé à réfléchir à la case, nous avions envie de remonter loin : pourquoi pas programmer Le Chagrin et la Pitié par exemple ? Mais nous verrons. Cette case ne doit pas n’être qu’une cinémathèque. Programmer La Conquête de Clichy nous tenait à cœur : c’était d’abord une volonté de rendre hommage à Christophe Otzenberger. Ce film a été un jalon pour le monde du documentaire. Christophe Otzenberger a toujours fait preuve de bienveillance par rapport aux jeunes auteurs, et pourtant beaucoup de jeunes documentaristes ne le connaissent pas. C’est pourquoi nous avons décidé de commencer par ce film. Pour moi cette case c’est aussi une histoire de transmission, passer de La Conquête de Clichy à un premier film...

La Conquête de Clichy, Christophe Otzenberger, 1994, © IMA films 

A la diffusion tardive s’ajoute-t-il également le désir de faire exister les films sur internet ? La mise en place du « replay » a-t-elle une incidence sur la manière dont la chaine considère le documentaire ?

 

Nous envisageons de créer une chaine Youtube, qui sera normalement opérationnelle en même temps que le lancement de la case, le 14 novembre. Il en avait été de même pour « Infrarouge ». Néanmoins, pour des films de festival très demandés sur le marché comme City of Ghosts (real. Matthew Heineman), un film américano-syrien sur la ville de Raqqa, il est très compliqué d’obtenir des droits sur une longue durée. Nous devons nous adapter.

 

Le « replay » est essentiel pour chaque œuvre, encore plus pour le documentaire. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter l’audience : il est stratégiquement primordial d’aller plus loin que l’unique diffusion télévisée pour les documentaires. La recette fonctionne : par exemple, Harcèlement sexuel au travail, l'affaire de tous a non seulement été un succès d’audience, mais a également très bien marché en « replay ».

 

Quelle est l’échelle d’investissement pour cette nouvelle case ?

 

Nous disposons d’une enveloppe globale pour cette case que nous allons défendre. En ce qui concerne les préachats, nous sommes dans des petits budgets qui permettent de déclencher le soutien du CNC. Nous n’avons pas un barème arrêté : certains films ont besoin d’un peu plus pour financer un nouveau tournage plus compliqué, d’autres un peu moins pour finaliser le montage par exemple... En toutes hypothèses, nous ne dépassons pas 40 000 euros pour un préachat. En ce qui concerne les achats, les montants sont par nature moindres et sont très variables en fonction de l’étendue et des caractéristiques des droits à acquérir.

 

Les tourments économiques actuels du service public mettent-ils en danger votre politique documentaire ?

 

C’est un vrai tourment pour le service public, mais Delphine Ernotte et Caroline Got [directrice exécutive de France 2] désirent profondément protéger la création. Cette année est très ambitieuse pour le documentaire, et nous sommes largement soutenus. La création de « 25 nuances de doc » en est la preuve, tout comme le renforcement d’« Infrarouge » et des « prime ». Notre souhait est que cette politique fasse des émules, qu'elle donne envie à d’autres chaines de faire de même... Il faut que ce type d’espace existe, tant il y a de l’appétence en France pour le cinéma documentaire ! 

Propos recueillis par l’équipe de film-documentaire.fr

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