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TRAVERSES #2 / L'éco-documentaire
à l'épreuve de l'anthropocène

Éco-documentaires :
Cognition, émotion et narration
Ib Bondebjerg [*]

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Megacities, Michael Glawogger, 1998 © Fama Film AG - Paul  Thiltges Distributions

     Les images documentaires peuvent rendre compte de notre réalité de plusieurs façons. Elles ont presque systématiquement la merveilleuse qualité de nous montrer une réalité comme on pourrait l’avoir vue, ou ne jamais l’avoir vue, auparavant. Elles peuvent à la fois nous surprendre et nous conforter dans nos idées préconçues. Cependant, les images ne nous dépeignent pas seulement des faits réels, elles nous émeuvent parfois avec brutalité, elles affectent les émotions des personnes qui vivent dans la réalité présentée, mais aussi celles des spectateurs par leurs interactions. C’est également le cas avec les documentaires consacrés à notre planète, à la diversité de ses plantes et de ses animaux, à l’environnement dans lequel nous vivons à l’échelle locale et mondiale. Avant 1900, les images montrant la Terre dans sa globalité étaient rares et de mauvaise qualité. Même si des explorateurs munis d'une caméra ont commencé à documenter la vie sur notre planète à plus grande échelle dès que le film fut inventé, c'est la culture médiatique internationale apparue dans les années 1960 qui a eu un véritable impact sur la façon dont nous voyons aujourd'hui le monde dans lequel nous vivons. Sur ces premières images diffusées dans le monde entier, les astronautes à bord de l’Apollo 8 en décembre 1968 ont décrit l’expérience empreinte d’émotion de voir la « planète bleue » depuis l’espace.

     La photo prise pendant la mission Apollo 8 en 1968 ouvre le film An Inconvenient Truth (Davis Guggenheim, 2006), qui est à bien des égards un documentaire factuel, didactique et rigoureux, avec Al Gore comme personnalité centrale. Les images de la planète Terre ponctuent largement le film, et à mesure que le constat de notre crise écologique ne fait qu’empirer au fil du documentaire, les images de la Terre changent : nous pouvons voir notre environnement se transformer littéralement sous nos yeux au travers des images représentant la planète de 1968 jusqu’à nos jours. Les informations factuelles et les documents visuels se combinent pour s’adresser aux dimensions cognitives et émotionnelles de notre intellect. Le documentaire sur le désastre écologique de Davis Guggenheim et Al Gore se rattache à une autre série de documentaires sur la Terre produite par la BBC - David Attenborough et son équipe - depuis 2001. Pendant vingt ans, en réalité pendant toute la période où la crise écologique est devenue de plus en plus présente dans les débats publics, ces documentaires sur la nature ont fasciné les spectateurs dans le monde entier. Ils documentent la diversité de notre planète, comment tout est connecté et façonne nos vies, mais aussi pourquoi la diversité et la vie sur la planète est menacée et mise à rude épreuve.

     The Blue Planet (sorti en 2001 et filmé entre 1996 et 2000) montre la vie dans les océans, et ce documentaire spectaculaire, qui célèbre la beauté de notre planète, se termine déjà à l’époque avec un épisode particulier intitulé « Trouble profond » qui dénonce la crise grandissante de nos océans. Cette dimension critique de la crise écologique est amplifiée dans les documentaires Planet Earth (2006) et Planet Earth II (2016), où les merveilles naturelles du monde sont en proie à des changements de plus en plus profonds. Dans le dernier épisode de Planet Earth, « Le Futur », ces problèmes sont illustrés par des documents visuels, des séquences narratives et des explications d’experts. Le sujet principal de cet épisode est le suivant : nous avons besoin d’appréhender la Terre comme un écosystème intégré et de préserver la diversité des espèces pour sauver la planète. Il s’agit de vivre ensemble en considérant l’écosystème naturel dans son entièreté, le propos démonstratif étant tenu à grand renfort d’images saisissantes de notre Terre vue depuis l’espace. Les films de David Attenborough consacrés à la nature s’adressent aux multiples facettes de notre esprit incarné : ils ne font pas que convoquer des faits et la raison, la puissance émotionnelle des images et de la narration sont également de la partie, ainsi que de surcroît l’utilisation de genres documentaires et de formes esthétiques de manière créative pour souligner les preuves factuelles. Prenons par exemple le fascinant épisode 6 de Planet Earth II (« Villes »), dans lequel le film met en exergue la façon dont les animaux s’adaptent à la vie dans les grandes villes, phénomène causé par les problèmes de croissance. Nous voilà en présence d’une comédie à l’état pur, porteuse d’un message sérieux, et nous le savons bien, l'humour et l'ironie peuvent souvent réveiller notre intelligence là où la moralité échoue. Les films de David Attenborough sont également des documentaires possédant une puissance narrative aux dimensions mélodramatiques, comiques et inquiétantes.

Les documentaires et notre esprit incarné

       Les documentaires, comme tous les autres genres de films, utilisent des structures, des formes rhétoriques et des dispositifs narratifs qui font appel à nos capacités à la fois cognitives et émotionnelles. Les informations factuelles et leur restitution scrupuleusement documentaire sont essentielles pour ces films dont le but est de sensibiliser le public et les décideurs politiques. Cependant, supposer que le factuel ne peut aller de pair avec les aspects émotionnels serait une erreur, tout comme penser que les structures rhétoriques rendent les structures narratives impossibles. Les stratégies narratives et les aspects émotionnels sont au contraire des composantes qui renforcent notre compréhension des problématiques complexes. Les humains sont, comme l’ont affirmé de nombreux théoriciens de la cognition (Turner, 1996, Bruner, 2002 et Gottschall, 2012), des animaux producteurs de récits, et ceux-ci n’appartiennent pas seulement à l’univers de la fiction : ils jouent un rôle prépondérant dans la compréhension du monde qui nous entoure. Dans son ouvrage The Literary Mind. The origins of Thought and Language (1996), Mark Turner définit notre capacité à utiliser des schémas d'images et des structures narratives comme essentielle pour notre réflexion et notre raisonnement :

Le récit, la projection et la parabole travaillent pour nous ; ils rendent la vie quotidienne possible ; ils sont à la base de la pensée humaine ; ils ne sont pas principalement - ni même essentiellement - un divertissement. Certes, le type de récits que nous tendons à remarquer attire l'attention sur leur statut en tant que produit de la narration, et ils ont souvent un côté récréatif. Nous pourrions donc penser que la narration est une pratique particulière plutôt qu'une activité mentale constante. Mais le récit en tant qu'activité mentale est essentiel à la pensée humaine. [1]

      Lorsque les structures narratives font leur entrée dans le canevas documentaire, elles aiguisent notre attention, nous orientent vers des rapports importants entre des actions isolées et l’apparition de personnages humains. Même lorsque la structure narrative n’a pas une place particulièrement dominante dans le documentaire, nous appliquons des schémas narratifs, car ils sont élaborés autour de notre mentalité quotidienne et notre manière d’appréhender les choses. Le même procédé s’applique pour les schémas d’images, l’aspect visuel de la narration et de la rhétorique, autant d’éléments importants dans tout média visuel, a fortiori le documentaire. Tout comme les raisonnements mènent à des conclusions à partir de faits et de débats, la narration permet de voir les relations entre les « acteurs » de la réalité, leur façon de parler, d’apparaître, ainsi que leurs interactions, et les liens entre eux et leurs actions. Nos schémas d'images à un niveau très élémentaire contribuent à la fois à la combinaison de raisonnements factuels, de la compréhension narrative des actions et du personnage, et des réactions plus émotionnelles et corporelles vis-à-vis du monde documentaire présenté. Comme le souligne Bruner, l'imagination fait partie des choses qui sont liées à notre capacité de mettre en relation les schémas d’images générales avec un support visuel concret et de les tester. « (...) Nous catégorisons les évènements selon des schémas d’images partagés et les actions selon des schémas d’images partagés ». [2] Les spectateurs emploient les mêmes procédés que les cinéastes lorsqu'ils utilisent la créativité et les assemblages pour créer des personnages, des actions, des images, des structures narratives et rhétoriques, des sons, de la musique, etc. Notre esprit incarné est fait pour lire les structures filmiques et réagir à celles-ci en se basant sur notre réalité de tous les jours, nos propres compétences, nos structures mentales formées génétiquement et culturellement.

  Par conséquent, le raisonnement et la factualité sont liés aux schémas narratifs, aux schémas d'images et aux structures émotionnelles fondamentales de l’être humain. Malgré le fait que les émotions sont également importantes dans le processus de réalisation d’un film documentaire et pour que ce dernier provoque une réaction chez le spectateur, les recherches sur le documentaire ont très peu fait appel aux théories de l’émotion. Comme Belinda Smaill le relève dans The Documentary. Politics, Emotion, Culture (2010), il semblerait que l’on fasse taire ou dédramatise le rôle des émotions, du désir, du plaisir : les documentaires ont d’abord été vus comme un « discours de sobriété » (Nichols, 1991). Une opposition générale entre la pensée et les sentiments semble être présente dans notre culture, plus particulièrement en matière de documentaires, qui sont souvent vus comme la voix de la raison factuelle.

        Le sens commun nous dit clairement que les émotions peuvent rendre le raisonnement et le débat problématiques : n’avons-nous pas tendance à écarter les personnes qui sont trop sensibles ? Aussi vrai que cela puisse l’être pour la pragmatique de la communication, les théories classiques de la rhétorique, de la psychologie cognitive moderne et de la neuroscience nous disent que les émotions sont intimement connectées au raisonnement. C’est le sujet principal du livre Descartes’ Error d’Antonio Damasio (1994) :   

Certains aspects du processus des émotions et des sentiments sont indispensables pour être rationnels. Lorsqu’ils sont optimaux, les sentiments nous emmènent dans la bonne direction, à la place adéquate dans l’espace de prise de décision, où nous pouvons faire bon usage de la logique. (...) Contrairement à l’opinion scientifique traditionnelle, les sentiments sont tout aussi cognitifs que les autres perceptions. Ils sont le résultat de l’arrangement le plus curieux qui a transformé le cerveau en spectateur captif du corps. [3]      

  L’antique tradition rhétorique faisait déjà état de la relation entre ethos (crédibilité personnelle), logos (le pouvoir du discours) et pathos (le pouvoir des émotions). Là où la fiction est indirectement en relation avec la réalité, la non-fiction se manifeste par différentes formes de relations plus directes avec la réalité. Néanmoins, les émotions dans la vraie vie, dans les documentaires et dans la fiction partagent des objectifs similaires. Les personnages et les évènements peuvent être insérés dans une structure narrative ou rhétorique dans la non-fiction, mais dans les deux cas, les émotions ont un rôle crucial. L’« effet de réalité » de la non-fiction ne retire en rien les dimensions émotionnelles de ce type de narration et l’impact est le même que dans la fiction. Le discours et la réalité documentaires ont souvent un effet émotionnel fort. Cet aspect est valorisé dans les éco-documentaires à travers leur façon de répertorier les changements majeurs de notre nature et de notre environnement. La différence entre la non-fiction et la fiction n’est pas une question d’émotions en soi. Elle met en jeu l’utilisation des émotions et de la narration et les différentes façons de s’identifier qui s’offrent aux spectateurs dans les documentaires et les fictions. Dans l’ensemble, nous devons accepter le fait que la théorie du film en général et jusqu’à un passé récent (surtout la théorie du documentaire) n’a que très peu pris en compte les émotions et leur rôle dans la narration. Dans son livre Moving Viewers (2009), Carl Plantinga annonce :

Une grande partie des pays occidentaux a considéré l’émotion comme antinomique de la raison et comme un obstacle pour (...) penser de manière critique (...). Les émotions sont intimement liées à notre cognition, à nos déductions, à nos évaluations et à toutes les autres activités mentales qui accompagnent l’expérience visuelle. Les émotions nous permettent d’avoir des idées (...), elles jouent un rôle dans le processus de création de la mémoire, à la fois culturelle et individuelle. [4]

  Selon le neurologue Antonio Damasio et les linguistes de la cognition George Lakoff et Mark Johnson (1980), ce lien entre la raison et l’émotion est dû au rapport très fort entre images, métaphores et structures narratives en tant qu’éléments indispensables dans la construction de connaissances factuelles, de raisonnements et dans la prise de décisions. Telle est l’explication polémique qu’en donne George Lakoff dans son livre The Political Mind (2008) où il analyse l’utilisation des métaphores et des images dans les débats politiques américains et va ouvertement à l’encontre de la philosophie occidentale traditionnelle, où la raison est vue comme universelle, désincarnée et presque exempte d’émotions :

Le langage tient sa puissance parce qu’il se définit selon des cadres, des prototypes, des métaphores, des éléments narratifs, des images et des émotions. Une partie de sa puissance vient de ses aspects inconscients : nous n’avons pas conscience de tout ce qu'il évoque en nous, mais il est bien là, dissimulé, toujours à l’œuvre. Si nous entendons le même langage en permanence, nos pensées seront de plus en plus activées par ses cadres et ses métaphores. [5]

      Le langage a également un impact sur la façon dont les documentaires véhiculent un message et racontent des histoires à propos de la réalité parce que même lorsque les documentaires essaient de limiter l’utilisation d'images, d’émotions et de discours, l’attention de notre esprit est constamment attirée par tous ces niveaux de narration. Les métaphores, les images, les structures narratives et les émotions ne sont pas seulement inhérentes à la construction des documentaires, elles font aussi partie de notre réalité au quotidien et notre esprit incarné travaille avec cette réalité.

        Les images ne sont pas seulement les éléments d’un film (documentaire ou de fiction). En fait, elles sont importantes pour notre perception de la réalité et pour la communication médiatique. Les images sont une forme de pensée et de mémoire et prennent plusieurs formes :

  • images perceptives : images formées par des résultats venant d’observations visuelles, de sons, de mots, etc. ;

  • images mémorielles : images qui viennent de la banque de données de notre mémoire ou qui sont des sous-produits d’images perceptives ;

  • images anticipatrices : images que nous construisons quand nous imaginons ou planifions une action ou un évènement futur.

​Les images et les éléments visuels font donc partie de notre façon de penser, et lorsque notre esprit incarné reçoit l’information des images et des discours visuels, il associe raison et émotion :

Les sentiments nous offrent un aperçu de ce qui survient dans notre chair, au moment où une image instantanée de cette chair se juxtapose à l’image d’autres objets et situations. Ce faisant, les émotions modifient notre perception détaillée de ces autres objets et autres situations. À force de juxtaposition, les images corporelles donnent une qualité bénéfique ou maléfique, de plaisir ou de douleur à d’autres images. [6]

       Notre esprit, comme notre langage verbal et le langage verbal et visuel des films, opère par conséquent en accord avec le fonctionnement de ces derniers, et les éléments narratifs jouent un rôle primordial dans notre vécu de la réalité :

Les discours narratifs complexes (le genre qu’on trouve dans les récits de vie de tout un chacun, tout comme dans les contes de fées, les romans et le théâtre) sont faits de composantes narratives plus courtes aux structures très simples. Ces structures sont appelées cadres ou scripts. Les cadres font partie des structures cognitives avec lesquelles nous pensons (...). Les circuits neuronaux nécessaires pour ces structures, les cadres, sont relativement simples, et donc ces cadres tendent à structurer une grande partie de nos pensées (...). Les mêmes circuits structurels d’évènements peuvent être utilisés pour vivre une action ou une structure narrative, ou pour comprendre les actions d’autrui ou alors la structure du récit (...) les structures narratives et les cadres ne sont pas que des structures cérébrales avec un contenu intellectuel, mais plutôt un contenu intégré à la fois intellectuel et émotionnel. [7]

     La théorie de l’esprit incarné provenant de la théorie de la cognition, désormais très développée dans les études d’audiovisuel et de documentaire, nous explique clairement que nous devons comprendre les dimensions de base de la narration et des images, le lien entre la raison et l’émotion lorsque nous avons affaire à des genres documentaires comme l’éco-documentaire. Nous ne pouvons pas réduire la définition des genres documentaires à une rhétorique, une factualité et une rationalité. Ils jouent en réalité sur toutes les dimensions de notre esprit incarné et créatif.

Une typologie des éco-documentaires

        L'histoire du film documentaire en général et des documentaires sur la nature et l’écologie font preuve d’une esthétique étonnante et d’une diversité au niveau thématique. La typologie proposée par Bill Nichols (2001) est peut-être la plus connue, mais je propose une typologie plus simple dans mon livre Engaging with Reality. Documentary and Globalization (2014). La définition de quatre modes très fondamentaux (voir Fig. 1.) ou des prototypes de documentaires, qui peuvent contenir des variations et peuvent être combinés dans des documentaires individuels, suggère qu’il y a plusieurs façons de faire référence à la réalité et de créer des récits représentant la réalité.

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Fig. 1. Formes de base du documentaire 

      J’aborde ici quelques exemples concrets en m’appuyant sur cette typologie : L’éco-documentaire d’expert illustré dans The 11th Hour (Leila et Nadia Connors, 2007), est un film qui utilise une structure rhétorique, une argumentation forte et factuelle, des illustrations visuelles, mais aussi des effets éthiques et émotionnels marquants. Le documentaire critique d’entreprise en est une sous-catégorie : ici, la critique sociale d’expertise et l’approche d’investigation sont utilisées pour attaquer des institutions sociales spécifiques liées à notre écosystème, mais aussi les comportements de ces institutions, les effets de leur production sur des gens ordinaires et sur l’environnement. Pour ce cas, j’offre pour exemple Food, Inc. (Robert Kenner2008), qui attaque la production alimentaire étasunienne industrialisée. Il est évident que la forme experte prédomine dans la plupart des éco-documentaires car ceux-ci traitent un grand nombre de données et de documentations, ce qui implique des méthodes journalistiques d’investigation et le recours à des témoignages d’experts. Plusieurs documentaires de ce type combinent des canevas d’exposés scientifiques magistraux et de journalisme d’investigation avec des structures de narration sous-jacentes et une documentation visuelle percutante et saisissante qui réveille souvent nos émotions les plus profondes.

       Cependant, il y a d’autres exemples moins parlants à propos d’autres formes qui utilisent des canevas symboliques et introspectifs plus dramatiques et plus élaborés. À ce stade, je vais m’attacher à deux autres types de documentaire. Le premier est le documentaire écologique dramatisé comme The Age of Stupid (Franny Armstrong, 2009). Vous trouverez dans celui-ci un mélange de structures rhétoriques avec des éléments d’observation et une subjectivité marquée, et l’intégralité de la construction de la narration est inspirée d’une réalisation de science-fiction. Le conservateur de la Global Archive (interprété par Pete Postlethwaite) se remémore le passé alors qu'il est dans le futur, en 2055, époque où toute civilisation a disparu, et il essaie de comprendre comment cette catastrophe a bien pu arriver. Dans ce film, une réalité factuelle documentée vient à la rencontre d’une réalité hypothétique.

     Le deuxième genre d’éco-documentaire est le documentaire poétique et d’introspection dans lequel le changement climatique est traité de manière plus performative et introspectif et où le côté visuel de la narration possède un rôle majeur. Ici, je vais traiter de l’éco-documentaire de Michael Glawogger, Megacities (1998), qui dans son ensemble est constitué de douze épisodes tournés dans les bidonvilles de Bombay, à Mexico, New York et Moscou. Il a pour sous-titre « Twelve Stories of how to Survive », et mène une enquête sur la vie des habitants les plus pauvres des grandes villes de par le monde, du prolétariat qui partout y souffre d’inégalités et des conséquences sévères de l’industrialisation qui détruit la qualité de vie à l’échelle planétaire. Ce sont eux les premiers à pâtir de notre crise écologique mondiale.

La puissance argumentaire et des images chocs :

L’éco-documentaire d’expert

       An Inconvenient Truth (2006) a été récompensé par un Oscar, et il va sans dire que c’est l’un des premiers éco-documentaires à véritablement toucher la sphère publique internationale, notamment grâce à Al Gore. Ce film propose un exposé mené par une icône de la politique mondiale, ponctué d’interventions auprès d’un public sur et hors écrans, et accompagné d’éléments narratifs et visuels. Le film expose une masse de faits scientifiques sous la forme de données chiffrées et de modélisations climatiques, vidéos d’archives, séquences visuelles habiles, séquence d’illustrations avec des dessins-animés et des extraits de films, etc. Comme c’est le cas pour tous les éco-documentaires d’expert, la structure rhétorique joue un rôle important : l’essence même du film repose sur des analyses sociales, politiques et scientifiques. Ce film a été réalisé pour convaincre et faire réagir les politiques, les élites des entreprises, les scientifiques et l’homme de la rue. La dimension personnelle de l’éthos est toutefois importante : la sympathie et la crédibilité politique qu’inspirait Al Gore en tant que personnalité publique sont essentielles, et dans le film, il a également puisé dans son vécu et ses souvenirs personnels pour créer le pathos et les réactions émotionnelles attendus. Le caractère visuel du film souligne et regroupe faits, argumentations et émotions : on y voit des images de nature et des vues saisissantes de la Terre qui nous rappellent les qualités de la vie telle que nous la connaissons, qui ravivent nos sentiments et nos souvenirs de la vie paisible d’autrefois, mais aussi la conscience que notre planète et les différentes formes de vie qui la peuplent sont en danger. Des images de catastrophes côtoient des images scientifiques et des modèles qui nous disent la même chose, ainsi que des séquences visuelles et de narration plus subjectives nous montrent comment étaient les choses dans le passé, ou ce qu’elles auraient pu être. Raison et émotions fonctionnent de concert.

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Leonardo DiCaprio en tant que narrateur du film The 11th Hour

Capture d’écran du film

       Nous retrouvons les structures rhétorique, narrative et visuelle sous plusieurs formes dans The 11th Hour, film produit par la société Warner Independent Pictures et dont Leonardo DiCaprio est le producteur et narrateur. Une personnalité politique charismatique reconnue dans le monde entier est remplacée par une star hollywoodienne. L'impact négatif de l'humanité sur la Terre est illustré par l'affiche du film : une énorme empreinte de pied sur notre globe. Pendant les deux premières minutes du film, nous assistons à un montage accéléré d’images montrant des catastrophes écologiques : la pollution industrielle, la faim, la pauvreté, les catastrophes naturelles, la fonte des glaciers, la guerre et la peur, l’écart entre les classes sociales, l’extinction des espèces, etc., le tout amplifié par une musique dramatique. Nous voilà emportés dans un véritable ascenseur émotionnel dès le début du film. Après cela, deux déclarations d’experts résument le message du film : le fond du problème, c’est l'équilibre entre deux systèmes compliqués, la société humaine et la nature. Toute la question est de trouver un équilibre si nous ne voulons pas que la civilisation ne disparaisse. Notre biosphère est malade, elle nous avertit que nous sommes en train de nous suicider. Dans les séquences suivantes, DiCaprio présente le film sur et hors écran comme un appel à la conscience collective de l’humanité qui doit commencer à changer de comportement si elle veut sauver la planète, notre unique habitat.

       Le film suit clairement une structure rhétorique où l’on nous somme - experts, graphiques, images, supports de données visuels sur la vie humaine et la nature à l’appui - d’utiliser toute notre créativité pour trouver une solution en cette onzième heure, avant qu’il ne soit trop tard. Après un panorama d’ensemble, nous continuons avec le changement climatique, puis la biodiversité, s’ensuit la responsabilité du monde politique et de l’entreprise, les solutions éventuelles et les formes de nouvelles technologies qui pourraient recréer notre écosystème. À la fin du film, nous retrouvons également une intention claire de mobilisation civique, pas seulement dans l'action politique, mais aussi par un vote de la part du consommateur au travers de son comportement. Dans ses commentaires de fin, DiCaprio se fait notamment le porte-parole du nouveau mouvement écologique en tant qu’organisation puissante à l'origine du changement à venir. Un appel optimiste est formulé en faveur de la créativité technologique, l'éco-design, de nouvelles approches de constructions urbaines, la conception durable et l'utilisation de la nature comme modèle de production pour remplacer les énergies fossiles et coûteuses que nous connaissons actuellement.

     En plus de tirer parti de la célébrité de DiCaprio et d’une dimension d’identification délibérément émotionnelle, le film fait largement appel à des experts scientifiques comme Stephen Hawking. Le film formule aussi une explication très cognitive et intellectuelle de la relation de l’Homme avec la nature. Il offre une définition de la vie elle-même en s'inspirant d’une citation de l’astrophysicien au début du film : la vie sur Terre, la nature et l’environnement ne sont pas une entité externe à notre être, mais font partie de notre corps et de nos gènes depuis le tout début. Nous sommes un produit de toute l’évolution. Les humains arrivent tardivement dans cette chaîne, et nous devrions peut-être nous représenter nous-mêmes avec plus d’humilité, n’étant jamais que la troisième génération de chimpanzés. Poser cette métaphore de la relation entre l’Homme et la nature est un bon exemple de la pensée imaginative : nous sommes totalement dépendants de la nature alors que nous essayons de la dominer. La puissance créatrice de notre intellect menace de détruire notre environnement, et donc nous-mêmes. Notre croyance égoïste en une croissance exponentielle menace de dérober sous nos pieds le sol sur lequel nous vivons.

      Des discours scientifiques et historiques très complexes sont exprimés par le biais d’un langage métaphorique et à l’aide de visuels. Les discours factuels et les données présentées s’insèrent donc également dans des images plus perceptives qui nous aident à comprendre la réalité d’une manière plus concrète et incarnée. Cette dimension incarnée, émotionnelle et visualisée provient aussi des séquences visuelles qui accompagnent ou suivent les propos rhétoriques et factuels. Les graphiques illustrant plusieurs de ces discours sont souvent des synthèses visuelles très fortes, tout comme des séquences vidéo qui montrent des catastrophes, la pollution, la biodiversité en déclin, etc. forment des messages à fort contenu émotionnel. Le recours constant à de terribles images de la Terre qui se transforme converge vers un objectif : elles font ressortir les funestes conséquences des données qu’on nous présente et explique.

       Apparaît aussi une autre utilisation des images et de la nature que l'on pourrait qualifier de briseurs d'émotions lyriques : tous les discours s'arrêtent, la musique s'installe, et ce que nous voyons n’est que des images de la nature telle qu'elle pourrait être ou de la nature en train de mourir. Nous en avons un bon exemple (à la 37e minute du film) où une caméra mobile balaie forêts, montagnes et océans sur le fond musical d’une chanson. La séquence visuelle survient juste après qu’on nous ait expliqué les points communs entre ce qui est en train d’arriver à notre planète et la fin du Permien, ère géologique durant laquelle 95 % des espèces ont disparu de la Terre. Ce briseur d'émotions n'est pas là seulement pour introduire un passage chanté, il prépare le spectateur aux séquences politiques suivantes : c'est grave, regardez ce que nous pourrions perdre, et préparez-vous à agir. La croissance continue, l'avidité des entreprises et des individus menacent notre Terre et notre civilisation même, ce que souligne une fois de plus l'affirmation de Hawking - illustrée par des images du globe - d'une Terre très modifiée.

Nous sommes ce que nous mangeons :

les éco-documentaires et la critique du monde de l’entreprise

        Les images jouent un rôle majeur dans le film Food, Inc. de Robert Kenner. C’est un film qui livre une critique virulente de la culture du fast food comme de l'ensemble du secteur agroalimentaire aux États-Unis. Les séquences d'ouverture annoncent complètement la couleur en opérant une forme de déconstruction des images utilisées pour la promotion des produits alimentaires dans les chaînes de magasins Walmart. Alors que l'agriculture et la production alimentaire sont devenues de vastes secteurs contrôlés par quelques sociétés dominantes, les images sur les emballages de nourriture et les affiches mettent en valeur une agriculture et une alimentation traditionnelles sur fond de maisons rouges et de granges en bois, de pâturages verts et jaunes, et d’animaux en liberté dans des paysages magnifiques. L'image romantique d'une campagne naturelle et conviviale où tout ce que l’on produit est entièrement naturel. Mais le commentateur dit tout autre chose : si vous suivez la chaîne de ces aliments, il en va tout autrement que l'image romantique présentée aux consommateurs. Vous verrez une réalité industrialisée, où tout est fabriqué avec une brutalité et à un rythme d'usine, où les animaux sont nourris de façon à ce qu’ils grossissent vite, et où les méthodes artificielles et chimiques en rajoutent au désastre écologique.

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Issu des premiers plans de Food, Inc. - le mythe romantique

de la fabrication de la nourriture américaine.

Capture d’écran du film

  La structure du film de Kenner est très claire et, en fait, explique en elle-même la construction rhétorique du film. Il est composé (en plus de la séquence d’ouverture) de huit parties, toutes introduites par un titre : 1. Culture du fast food, 2. Une corne d’abondance du goût, 3. Des conséquences inattendues, 4. Le menu à un dollar, 5. Dans la prairie, 6. Les coûts cachés, 7. La graine, du congélateur au supermarché, et 8. Les chocs du système. La structure rhétorique montre que Kenner commence par l’évolution historique de la restauration rapide et la concentration de l'ensemble de l'industrie agroalimentaire entre les mains de quelques très grandes entreprises, comment les agriculteurs et les consommateurs deviennent les esclaves d'un système que personne ne semble pouvoir contrôler ou changer. Dans les parties 2, 3 et 4, il explore les conséquences récentes de cette évolution. Il démontre en premier lieu que l’on est bien loin d’une corne d’abondance : en fait tous les produits sont fabriqués de la même manière et par les mêmes producteurs. En deuxième lieu, il explique que la qualité de la nourriture est si médiocre qu’elle finit par représenter un danger pour le consommateur. Le spectre du colibacille, de la salmonelle et de la résistance aux antibiotiques plane sur la production alimentaire et tue des consommateurs. De plus, les prix très bas de la restauration rapide par rapport à une nourriture plus saine interdisent à des consommateurs à faibles revenus d’avoir accès à d’autres denrées alimentaires.

        Dans le dernier sujet abordé dans le film (parties 5 à 8), la focale change radicalement et examine en profondeur les coulisses de ce système de restauration rapide avec en contrepoint des alternatives et des oppositions. Pour ce faire, nous nous rendons d'abord dans une ferme écologique et naturelle étasunienne de Virginie, une ferme semblable à celle qui figure sur les emballages des produits alimentaires. À partir de là, nous revenons vers l'industrie alimentaire industrielle, ses coûts cachés, ses dimensions politiques (le brevetage des productions végétales génétiquement modifiées, entre autres) et, enfin, sur les moyens possibles de changer le système. Les dernières parties laissent carrément entendre qu'il est temps de changer le système par des moyens politiques, des actions en justice et des manifestations publiques. L'alternative à la production alimentaire artificielle industrialisée de masse, à la domination de quelques sociétés colossales, est très clairement représentée dans la cinquième partie, « Dans la prairie », où nous visitons une ferme qui fonctionne entièrement de manière écologique, l’une parmi de nombreuses exploitations de la vallée de Shenandoah, en Virginie. Ici, les animaux vivent en plein air et mangent des produits naturels. À vrai dire, les images de cette ferme ressemblent à celles des fermes romantiques que nous voyons au début du film, sauf qu’ici c’est la réalité.

       L’agriculteur a dû fermement se battre pour son indépendance, car les pouvoirs publics locaux et les puissantes entreprises ont tenté de mettre un terme à son activité. Son discours sur la nourriture industrielle exprime à bien des égards la voix et le message du film de Kenner : « une culture où un cochon est perçu comme une structure carnée sans âme qui peut être manipulée pour imposer n’importe quelle modification artificielle à cet animal selon le bon vouloir des humains considérera probablement les autres cultures avec le même genre de mépris, de manque de respect et la même mentalité à vouloir tout contrôler.» [8] Et si cette phrase et l’expérience des animaux en liberté ne suffisaient pas, le film nous mène directement à l’usine de traitement porcin Smithfield à Tar Heel, en Caroline du Nord. C’est l’abattoir le plus grand au monde, une énorme machine effrayante qui « traite » 3 200 animaux par jour. En cet endroit, les employés sont soigneusement recrutés parmi les Mexicains les plus pauvres, des travailleurs illégaux emmenés par groupes entiers dans cette exploitation où ils vivent dans de terribles conditions. Les humains sont à peine mieux traités que les cochons, et l’entreprise derrière cette usine contrôle même le nombre de personnes que la police peut arrêter en tant qu'immigrants illégaux. L’État et les grandes entreprises travaillent ensemble, tout comme des lobbyistes venant de partout dans le secteur de l'alimentaire veillent à ce que tout reste en l'état pour protéger les intérêts des entreprises.

        L’éco-documentaire de Kenner démontre de façon assez évidente le pouvoir rhétorique et factuel du documentaire et la capacité de faire passer un message écologique cohérent et concis. Le film fait également ressortir la manière dont les cadres narratifs et visuels renforcent et valorisent les discours rationnels. Ce phénomène est rendu possible par la rencontre entre les images des réalités des entreprises critiquées et les formes idéologiques d'imagination qui s’y rapportent. Il s'agit d'une forme de documentation à la fois visuelle et déconstructiviste. La réalité contemporaine et visuelle de l'industrie alimentaire est tout simplement en total décalage avec les images utilisées pour vendre les produits et inscrire une marque qui attire le consommateur. Elle est également dénoncée grâce à des procédés visuels qui opposent l'agriculture et la transformation alimentaire écologiques à la production de masse industrialisée. Enfin, cela se fait aussi par le biais de portraits présentés tout le long du film. Un garçon de douze ans qui meurt d'une infection à la salmonelle en moins d'une semaine, et dont la mère se lance dans un procès coûteux d'un an contre la grande entreprise responsable en est le plus marquant. C'est le récit de l'individu en butte au système, qui apparaît dès la troisième partie et ne s’évanouit pas tout à fait à la fin du film. Le discours argumentatif, la documentation factuelle et les experts sont des éléments importants de ce film, mais les aspects visuels et narratifs le sont tout autant, tout comme les composantes de l’émotion et de l’identification, qui en découlent.

 

Théâtraliser le désastre écologique :

The Age of Stupid

  Le documentaire de Franny Armstrong, The Age of Stupid, va tout aussi loin dans sa critique de tous les facteurs qui sont à l’origine de notre crise écologique, mais la réalisatrice utilise d’autres méthodes que celles déjà étudiées. La voix de l’expertise et la structure rhétorique ont moins d’importance dans son cas, donc le film crée plutôt un récit d’anticipation hypothétique situé en 2055, d’où il jette un regard en arrière, et sa documentation provient en grande partie d’une série de récits d'observation avec des gens ordinaires : des histoires du passé. La séquence d’ouverture affiche à cet avertissement : « Les projections du changement climatique présentées dans ce film s’appuient sur des informations scientifiques largement reconnues. Les images qu’il présente de notre époque ou du passé proviennent d’actualités ou de documentaires télévisuels authentiques. » Le film allie réalité projetée, fiction glaçante qui nous viendrait de 2055 et de véritables images et vidéos des années 2008-2009, avant que les catastrophes qui auront détruit le monde que nous connaissons aujourd’hui ne se produisent. Documentaire dramatisé, ce long métrage projette les conséquences de notre réalité actuelle dans un futur lointain pour nous faire réagir et empêcher l’hypothétique réalité de se réaliser. Nous ne voyons que des bribes d'une réalité passée, présentées par le dernier survivant sur Terre, le conservateur de la Global Archive. Il a accès à toutes les formes de réalité enregistrées sur des supports électroniques : des vidéos de citoyens filmées par eux-mêmes, des reportages d’actualités, des données et observations scientifiques, etc.

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Le conservateur (Pete Postlethwaite), isolé à l’intérieur de la Global Archive, stocke toutes les histoires et les informations de la civilisation éteinte.

Capture d’écran du film

   Malgré cette construction narrative, des éléments de forme plus traditionnelle et experte des éco-documentaires restent néanmoins présents : le personnage fictif du conservateur incarne la voix de l’animateur et du narrateur du film, qui sélectionne ce que les spectateurs doivent voir. Il est l’œil et l’esprit de l’Olympe qui nous guident tout au long des vidéos venant du passé, ou qui essaient de retracer les événements documents à l’appui. Des images marquantes du désastre mondial, de la naissance de la civilisation et de la Terre modélisées numériquement et du Big Bang jusqu’à nos jours sont également employées. L'ouverture du film est un tour de force à lui seul : nous remontons 13 milliards d’années dans le passé, jusqu’au moment même de la création de l’Univers, le Big Bang. Puis, grâce à des reconstructions virtuelles, nous passons par toutes les étapes qui mènent à la création de la Terre puis de l’Humain avant d’arriver en 2055, où Londres est engloutie sous les eaux, Las Vegas s’est transformée en désert, Sydney est en flammes, la Péninsule arabique est totalement morte et la glace des régions arctiques a fondu. Ces images sont à la fois intenses et effrayantes, tout comme les scènes finales du film. Dans cet exemple, le conservateur réalise un condensé de toute l’histoire de l'humanité pour l’expédier dans l’univers dans l’espoir qu’une civilisation encore existante la trouve et apprendra de nos erreurs. Pour finir, il tourne le dos au spectateur puis disparaît. La civilisation à laquelle il envoie cet appel est bien sûr aussi la nôtre, nous qui sommes encore en vie et qui pouvons changer les choses.

        Immergés dans ce scénario-catastrophe futuriste, le cadre que construit le dernier humain vivant, nous assistons également à des tranches de vie à travers le monde, qui étayent ou même contredisent les voix de la factualité officielle que sont les actualités et les discours scientifiques. Nous entendons différents témoignages de notre diversité mondiale, au-delà des voix occidentales habituelles : un homme d’affaires indien, un guide de haute montagne sur des glaciers français, un ouvrier du pétrole dans une Nouvelle-Orléans dévastée par l'ouragan Katrina, deux enfants irakiens et une femme nigériane. Le conservateur répète souvent « nous aurions pu nous sauver si nous avions agi à temps vu ce que nous savions déjà ». Ce thème revient fréquemment non seulement dans les histoires que nous racontent des gens ordinaires, mais aussi dans les vidéos des experts à propos de sujets variés : pétrole et sources d’énergie alternatives, moyens de transports publics et privés, guerre, pauvreté et différences entre les classes, rôle des idéologies et de la religion, etc. Par conséquent, malgré la forme construite et dramatique du film, il regorge de discours argumentatifs, de faits et de documentation à finalité d’expertise. Une perspective historique très profonde et un large contexte mondial sont développés. Le conservateur représente la voix de l’expert dans ce film, c’est lui qui choisit ce que nous voyons et qui nous fait partager ses opinions et les enseignements qu’il veut nous transmettre. Dans le film, il aborde ce qu'il appelle le changement de notre représentation du développement : une idée selon laquelle le progrès et le développement auraient dû faire du monde un meilleur endroit pour les prochaines générations, règle essentielle que la nôtre a brisée.

       The Age of Stupid constitue un type de documentaire avec une structure assez complexe, pas seulement parce que la dimension centrale d’expertise du film est de nature hypothétique et fictive, mais parce qu’elle fait appel à des composantes narratives et variées au niveau visuel bien plus fortes que dans les films déjà analysés. Les récits d'observation du film sont tout aussi centraux que ceux appartenant au cadre hypothétique : ils portent une grande partie des récits de la réalité où apparaissent des individus concrets, réels, vivant leur existence propre. Leurs histoires suivent des trajets différents. L’homme d’affaires indien, Jeh Wadia, est en train de créer une compagnie aérienne low-cost dans le but de rendre les vols accessibles aux pauvres. Cependant, son histoire s'inspire d'une philosophie de la croissance qui a eu des conséquences négatives pour le climat. D’autre part, l’alpiniste et guide français Fernand Pareau témoigne à l’âge de 82 ans de l'importance du changement climatique qui affecte les glaciers dans les Alpes françaises. De même, d’autres témoins à la Nouvelle-Orléans nous livrent des informations de première main, accompagnées d’images, sur l'ouragan Katrina, tout comme une femme africaine qui a essayé de créer des écoles et des dispensaires, en se battant contre la compagnie pétrolière Shell qui a pollué la région, une famille en Jordanie qui fuit l'Irak après la mort du père, ou cette autre, anglaise du Pays de Galles, qui tente d’adopter un mode de vie écologique. Ces récits d'observation nous rapprochent des vraies personnes, permettent aux spectateurs de s’identifier à certains témoignages du film et offrent une compréhension plus émotionnelle de la réalité.

      La dernière dimension qui vient compléter la complexité de ce film et son recours à la compréhension rationnelle, à des témoignages d’expériences vécues et aux couches émotionnelles les plus profondes se matérialise dans une grande créativité dans l'utilisation des images. Les séquences d'ouverture montrant le Big Bang, les images construites d'un monde en perdition et les locaux de la Global Archive sont les éléments centraux d'une narration visuelle présente du début à la fin du film. Cela se traduit aussi par l'utilisation récurrente d'images réelles associées à des animations, pendant tout le scénario, notamment dans de courts récits ou explications historiques. Ce dispositif est utilisé par exemple dans le retracé historique du pétrole et de ses conséquences, dans des séquences sur l'histoire de la guerre et du colonialisme, et celle relativement plus longue sur les idéologies, le développement du capitalisme et de la consommation basée sur la croissance. L'utilisation de l'animation s’inscrit d'une part dans une rhétorique pédagogique et d’autre part offre le moyen de créer une forme de narration plus visuelle, qui suscite une attention particulière chez les spectateurs.

     The Age of Stupid n'est pas seulement expérimental d’un point de vue général par comparaison aux nombreux documentaires traitant du défi écologique, il l’est aussi dans le domaine de sa production et de sa distribution. Pour assurer l’indépendance de la cinéaste, le film a été soutenu par la contribution financière participative de plus de mille personnes, et de nombreux bénévoles ont travaillé pour un petit salaire, voire pour rien, pour mener à bien ce film et le faire connaître partout dans le monde. La réalisation de sa première mondiale organisée à Leicester Square, était alimentée à l'énergie solaire, et la société de distribution Indie Screenings a ensuite coordonné plus de 450 projections au Royaume-Uni. À cette époque, la sortie du film a également lancé une action politique (Not so Stupid Action) en collaboration avec de nombreuses ONG et, en septembre 2009, l'équipe a lancé la campagne "10:10" depuis la Tate Modern, appelant toutes les institutions et tous les citoyens à réduire leurs émissions de CO2 de 10 % en 2010. Enfin, le film a fait l'objet d'une première mondiale (les 21 et 22 septembre 2009) à New York. Il a été traduit en trente et une langues et a été vu par plus d'un million de personnes dans soixante-trois pays. Son caractère expérimental sur le plan cinématographique, mais aussi sur celui de son financement, sa réalisation et sa distribution, est aussi transposé dans le type d'actions cinématographiques et politiques auxquelles il a été associé, autant de voies nouvelles ouvertes pour l’éco-documentaire.

 

Cities on Speed : images réflexives et symboliques

des villes mondiales et de l'inégalité

 

      « Si le XXe siècle a vu la ville comme un espace utopique (un lieu de rêve où tout est possible), les mégapoles du XXIe siècle pourraient bien se révéler être notre cauchemar ou notre némésis. » Ces mots ont été prononcés par les créateurs de la série danoise de quatre films Cities on Speed (2009). Les grandes villes sont en effet souvent la cause d'un grand nombre des problèmes liés à notre défi écologique : les grands mouvements migratoires mondiaux, les énormes problèmes d'infrastructures, d'environnement, d'énergie, de bidonvilles et d'inégalités. Des reportages documentaires sur de grandes villes peuvent donner une vue d’ensemble de ces problèmes d’envergure mondiale.

      Le réalisateur autrichien Michael Glawogger est un documentariste très prolifique qui a réalisé plusieurs films sur la vie dans les grandes villes. Dans la série de films Workingman’s Death (2005), Glawogger nous montre que le travail physique et intense existe encore, tout en restant invisible, car cette main-d'œuvre est surexploitée dans des pays en développement de sous-traitance ou dans nos arrière-cours, où des travailleurs immigrés sont sous-payés. Le documentaire de Glawogger montre les réalités cruelles du travail manuel dans le monde entier et, ce faisant, dénonce l'envers de la croissance capitaliste et les inégalités mondiales qu'elle crée. Il aborde les problèmes de migration, d'environnement et de travail dans certaines des plus grandes villes du monde, destinations d’êtres humains en quête d'un avenir meilleur. Ses deux autres films, Megacities (1998) et Whore's Glory (2011), ne traitent pas d'un contexte national particulier, mais de la vie à une époque transnationale où le travail, l'économie, la politique et la vie quotidienne dans une partie du monde sont directement liés et dépendent des conditions de vie dans d'autres parties du monde. Whore's Glory raconte l'histoire mondiale du « travail » le plus répandu, le plus dégradé et désespéré pour les femmes : la prostitution. Le film est tourné au Bangladesh, en Thaïlande et au Mexique.

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La beauté visuelle d'un monde morose. Ouvrière russe dans l'épisode qui se déroule à Moscou de la série Megacities de Michael Glawogger.

Capture d’écran du film

 Megacities retranscrit une histoire mondiale dans douze épisodes tournés dans les bidonvilles de  Bombay, Mexico, New York et Moscou. C’est un film qui parle du prolétariat mondial et de la lutte des travailleurs pour survivre et s'élever au-dessus des conditions les plus difficiles qu’on puisse imaginer. Glawogger lui-même décrit ce documentaire comme un film sur la façon de survivre dans une réalité mondiale. Il soulignait en revanche que, même si celui-ci montre des personnes menant une terrible existence dans des régions parfois particulièrement sinistres, il vise aussi à changer nos mentalités et notre image du « reste du monde ». Comme le dit Glawogger lui-même, derrière les « nouvelles pour la plupart mauvaises, ou notre point de vue de touriste colonial, nous ne voyons pas la réalité, les gens qui vivent ici se battre avec une réalité, ou la rêver, un peu comme nous » (Glawogger, dans le communiqué de presse du film, couverture du DVD). Il est tout naturel que ce film porte pour sous-titre « Twelve Stories about Surviving », Douze histoires de survies.

        La structure et la forme visuelle du film sont animées, presque chaotiques et bien loin d'un simple réalisme lugubre. Les séquences tournées à Bombay nous font donc voyager à travers les quartiers et les places de la ville, où nous assistons à différentes activités : des spectacles musicaux, la vie de famille, des scènes de rue, des trajets dans des trains bondés et pour finir, le portrait d’un homme qui gagne sa vie en projetant des films à l’aide d’un appareil très sommaire, à manivelle. Dans la plupart des pays occidentaux, les habitants vivent dans une culture où les médias numériques sont très développés. Ici, nous sommes face à des technologies et à des formes de travail presque pré-modernes, à l’image de ces marchands de rues qui vendent leurs articles sur de petits étals très rudimentaires. Le travail est artisanal et exécuté avec d’antiques machines et de vieux outils. Les images de la ville de Mexico sont tout aussi anarchiques et animées, avec des formes de vie et de travail très différentes de celles que l'on trouve dans les sociétés occidentales modernes et leurs grandes villes.

     Les capacités physiques impératives à avoir, la saleté, le manque de sécurité et de contrôle des conditions de travail sont frappants dans le portrait que ce film brosse des réalités mondiales. C'est également le cas des séquences qui se déroulent à Moscou et qui opposent les personnes vivant dans des circonstances normales, en attente de leur train à la gare, et celles à la rue. Le travail n'est pas le seul thème abordé ici, bien qu'il soit central et qu'il soit représenté par différentes formes tant pour les hommes que pour les femmes. Le film traite du travail dans le contexte plus large des circonstances de la vie quotidienne. Une dimension poétique dans l'utilisation des formes visuelles et sonores du film est par ailleurs présente. De nombreuses séquences du film traitent des rêves et des espoirs, tout comme certaines consacrées à d'autres mégapoles se concentrent sur des aspects de la vie quotidienne liés à l'amour, au bonheur et à la joie. Les dures réalités des mégapoles mondiales contrastent avec les voix et les images d'espoir et de joie des hommes.

        Les formes utilisées varient d'une histoire à l’autre. Dans la séquence de Moscou, intitulée « Le conte de fées », l'accent est mis sur les personnages qui rêvent d'une vie meilleure, mis en scène par la lecture en voix off d'une histoire se superposant sur des ouvriers travaillant à la chaîne, par la musique lyrique et classique qui contraste avec la pesanteur du travail industriel, ou par des scènes familiales avec des images de télévision qui indiquent un autre type de vie, un monde d'histoires, de rêves et d'espoirs. Ce que Glawogger accomplit en contrastant les situations concrètes de travail avec une dimension poétique et symbolique, c'est une vision critique posée sur ce genre de travail industriel monotone que font ces gens à Moscou, en mettant en avant leurs rêves d'un métier et d'une vie meilleurs, peut-être même d'une autre société. Glawogger est passé maître dans l'art de traiter ses films par couches de contrastes. Autre exemple de cette superposition, la séquence frénétique de New York intitulée « The Hustler » (l’escroc) montre des personnes mendiant ou essayant de vendre quelque chose dans la rue. Les séquences se concentrent sur des Afro-américains qui font de la combine un morceau de rap et un spectacle de danse. Une représentation naturaliste est associée à une stratégie d'expression créative et poétique. Nous retrouvons ce procédé dans l'une des séquences à Moscou sur les hommes alcooliques. Glawogger choisit d'exploiter le chant des femmes déçues par les hommes tandis que nous voyons les hommes se faire embarquer par la police pour être emmenés en cellule ou pour se faire soigner.

    Considéré comme un éco-documentaire, le film de Glawogger présente une particularité qui ne tient pas qu'à sa thématique. Il associe également une forme d'observation de la vie dans les grandes villes du monde à des dimensions qui font entrevoir les espoirs et les rêves que recèle la vie dans les bas-fonds les plus reculés de la société. Le film prend plutôt ainsi la forme d’un symbolisme introspectif, montrant des réalités imaginées et des rêves cachés. Bien que le film utilise à de nombreux égards une forme d'observation classique, nous permettant d’éprouver de différentes formes de réalités dégradées dans le monde entier, il recourt également à celles de la reconstruction et de la dramatisation. C'est ainsi le cas dans certaines séquences new-yorkaises qui nous font vivre de très près l’existence des prostituées et des arnaqueurs de rue. Les films de Glawogger ne sont pas seulement une forme particulière d'éco-documentaire sur le plan esthétique, ils offrent également une perspective thématique particulière. Ils nous montrent le revers de la médaille et le tribut humain imposé par le capitalisme occidental sur le plan mondial, la surexploitation des travailleurs, la pollution de l'environnement, loin et hors du champ de vision des consommateurs occidentaux. Le drame que représentent l'exploitation humaine, la pollution d'échelle mondiale et le gigantesque fossé qui nous sépare, nous qui profitons de la consommation et ceux qui en paient le prix pour nous l'assurer.

Conclusion

 

        Les genres documentaires en général, et donc les éco-documentaires, reflètent le fait que les humains sont des animaux génétiquement, biologiquement et socialement capables de créer des récits. Les structures narratives présentent des modalités fondamentales pour le vécu, l’exploration et la pensée de la réalité. Ces histoires viennent à nous et nous invitent à réagir et nous mettre en action sur les plans cognitifs et émotionnels, et ces deux dimensions sont intimement liées dans la vie réelle, comme elles le sont dans la fiction et le documentaire. Les genres non fictifs présentent différentes variations de structures rhétoriques et narratives et suivent des modèles d'implication sociale et psychologique qui sont également utilisés dans les expériences et les interactions de la vie réelle. Les émotions ne peuvent être séparées de la raison et de la rationalité, même si elles peuvent bien sûr avoir un impact négatif sur la communication et le raisonnement. Des couches émotionnelles apparaissent dans des documentaires grâce à des structures narratives, l'identification à des personnages, des effets visuels et sonores. De plus, elles sont étroitement liées au contenu et aux thèmes en rapport avec la vie réelle, à nos décisions d'agir en présence de problèmes humains et sociaux, directement ou indirectement.

        Les éco-documentaires que nous avons analysés montrent que les quatre formes de base du documentaire combinent, de diverses manières, une rhétorique des faits et de la réalité documentée, associée à des stratégies narratives et visuelles qui ajoutent émotion et identification à l'expérience du spectateur. Une partie du raisonnement documentaire consiste également à nous faire voir et sentir la réalité et les problèmes abordés sous différents angles. Voir ne se résume pas à croire, c’est aussi mieux de comprendre. Les preuves visuelles, les séquences d'observation de la vie réelle ou les dimensions symboliques de la réalité ne sont pas nécessairement meilleures que les déclarations d'experts, les graphiques, les courbes, les diagrammes, etc. Elles engendrent simplement une expérience différente du problème abordé, et combinées ou appréhendées dans un ou plusieurs films différents sur notre défi écologique mondial, elles nous permettent de mieux comprendre le problème sous tous ses aspects.

Ib Bondebjerg

Ib Bondebjerg est professeur émérite au département de communication de l’Université de Copenhague, au Danemark. Ancien président du Danish Film Institute (1997-2000), il a beaucoup écrit sur le documentaire. Parmi ses ouvrages les plus récents, Engaging with Reality. Documentary and Globalization (2014), Transnational European Television Drama (2017), Screening Twentieth Century Europe (2020).

Références

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Bondebjerg, Ib, "Documentary and cognitive theory: Narrative, emotion and memory" in Media and Communication, Vol. 2:1, pp 13-22, 2014

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Nichols, Bill, Representing Reality. Issues and Concepts in Documentary. Indiana: Indiana University Press, 1991

Nicholls, Bill, Introduction to Documentary. Indiana: Indiana University Press, 2001

[1] Notre traduction de : « Story, projection, and parable do work for us; they make everyday life possible; they are the root of human thought; they are not primarily - or even importantly entertainment. To be sure, the kind of stories we are apt to notice draw attention to their status as the product of storytelling, and they often have an entertaining side. We might therefore think that storytelling is a special performance rather than a constant mental activity. But story as a mental activity is essential to human thought (Bruner 1996: 12) »

[2] Notre traduction de : « (..) we categorize events according to shared image schemas and actions according to shared image schemas »

[3] Notre traduction de : « Certain aspects of the process of emotions and feelings are indispensable for rationality. At their best, feelings point us in the proper direction, take us to the appropriate place in a decision-making space, where we may put the instrument of logic to good use. (...) Contrary to traditional scientific opinion, feelings are just as cognitive as other perceptions. They are the result of the most curious physiological arrangement that has turned the brain into the body’s captive audience (Damasio 1994 xv-xviii) »

[4] Notre traduction de : « A strong strain of Western thought has considered emotion to be antithetical to reason and an obstacle to (..) critical thinking (..) Emotions are intimately tied to our cognition, inferences, evaluations and all of the other mental activities that accompany the viewing experience. Emotions and affects have implications for ideas (..) they play a role in the creation of both cultural and individual memory (Plantinga 2009: 5-6). »

[5] Notre traduction de : « Language gets its power because it is defined relative to frames, prototypes, metaphors, narratives, images, and emotions. Part of its power comes from its unconscious aspects: we are not consciously aware of all that it evokes in us, but it is there, hidden, always at work. If we hear the same language over and over, we will think more and more in terms of the frames and metaphors activated by that language. (Lakoff 2008: 15) »

[6] Notre traduction de : « Feelings offer us a glimpse of what goes on in our flesh, as a momentary image of that flesh is juxtaposed to the image of other objects and situations; in so doing, feelings modify our comprehensive notion of those other objects and situations. By dint of juxtaposition, body images give to other images a quality of goodness or badness, of pleasure or pain. (Damasio 1994:159) »

[7] Notre traduction de : « Complex narratives – the kind we find in anyone’s life story, as well as in fairy tales, novels and drama – are made up of smaller narratives with very simple structures. Those structures are called frames or scripts. Frames are among the cognitive structures we think with (…) The neural circuitry needed to create frame structures is relatively simple, and so frames tend to structure a huge amount of our thought (…)The same event structure circuitry can be used to live out an action or narrative, or to understand the actions of others or the structure of the story (…) narratives and frames are not just brain structures with intellectual content, but rather with integrated intellectual-emotional content (Lakoff 2008: 27-28). »

[8] Notre traduction de : « A culture that regards a pig as a soulless meat structure to be manipulated by what ever creative human design they can impose on that animal will probably regard other cultures with the same kind of contempt, lack of respect, and controlling mentality. »

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