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TRAVERSES #2 / L'éco-documentaire
à l'épreuve de l'anthropocène

Le documentaire et la catastrophe environnementale :

Requiem pour un monde inhospitalier

François-Xavier Destors [*]

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Lessons of Darkness, Werner Herzog, 1992 © Werner Herzog Filmproduktion- Potemkine Films

« L'homme, de la nature est le chef et le roi »

Nicolas Boileau, Satires (1657)

 

 

      « Si jadis, comme chez Homère, l'humanité était pour les dieux de l'Olympe un objet de spectacle, c'est aujourd'hui pour elle-même qu'elle l'est devenue. Désormais, le sentiment de sa propre étrangeté a atteint un point tel qu'elle peut jouir de son propre anéantissement comme d'un plaisir esthétique de premier ordre. » [1]  Ces mots prophétiques écrits par Walter Benjamin en 1935 résonnent aujourd’hui dans un monde déstabilisé par des catastrophes environnementales qui s’accumulent et se font concurrence dans un torrent d’images spectaculaires. Pandémies, tsunamis, inondations, vagues de chaleur et de sécheresse, le quotidien médiatique de nos sociétés modernes qui assistent impuissantes à l’enchainement de ces événements apocalyptiques alimente l’angoisse collective d’un effondrement.

       La notion d’Anthropocène a cela d’effrayant qu’en laissant entrevoir à l’homme sa propre finitude, elle esquisse un horizon bâti sur l’expectative du désastre, comme un point de non-retour, comme si elle condamnait l’homme à contempler les images du processus qui le mène à sa propre destruction. Ces deux dernières décennies, la profusion de films consacrés à la crise environnementale dans la multiplicité et la globalité de ses problématiques – réchauffement climatique, pollution industrielle, contrôle de l’alimentation, de l’eau, des déchets… - révèle à la fois la place centrale qu’elle occupe désormais dans le débat public et la capacité du genre à documenter et mettre en scène le basculement du monde.

       On aurait tort cependant d’enfermer ces films dans les balises trop étroites d’une tendance ou d’un nouveau genre : tout au long du siècle de l’Anthropocène, qui est aussi celui du cinéma, le documentaire s’est fait l’écho et l’alerte, le témoin et l’archive des rapports tortueux qu’entretiennent l’homme et l’environnement. C’est à la quête des images de l’Anthropocène, celles de la défiguration de la Terre, du dérèglement de la nature et du chaos de l’humanité, que se lance cet article, comme une traversée forcément brève et sélective dans l’histoire du documentaire pour saisir comment le genre a façonné l’imaginaire de la catastrophe écologique.

1 - Le spectacle du sublime

       Si le débat n’est pas tranché, les pionniers des théories de l’Anthropocène situent l’entrée dans cette nouvelle ère au moment où, au XIXème siècle,  les sociétés occidentales font le choix du capitalisme, de l’industrialisation et de l’exploitation massive des énergies fossiles. Pour trouver trace des premières images de l’Anthropocène, on pourrait ainsi remonter à l’invention du cinéma, fruit de la révolution industrielle et du progrès technique, et plus précisément aux vues Lumière, ces premiers films captés à l’aide du Cinématographe par des opérateurs qui ont pour ambition d'enregistrer et de montrer le grand spectacle du monde. Entre 1896 et 1899, le photographe Alexandre Michon filme les puits de pétrole en feu sur le plateau de Balakhani-Sabountchi, à quelques kilomètres de Bakou. Cette région du Caucase est à l’époque l’un des deux principaux centres névralgiques de l’industrie pétrolière naissante avec la Pennsylvanie. La ruée vers l’or noir fabrique ses premiers magnats,  à l’image de la famille Nobel qui a investi massivement dans ces immenses zones pétrolifères, fleurons de l’empire russe, qui produisent à l’aube du XXème siècle plus de la moitié du pétrole mondial. Que voit-on sur le plan fixe de Puits de pétrole à Bakou ? Des flammes virevoltantes et des fumées noires qui s’échappent de derricks aux allures de minaret pour se déployer dans le ciel. Aux pieds du derrick central, un homme marche et sort du cadre.

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Puits de pétrole à Bakou. Vue d'ensemble, Alexandre Michon, 1899 © Association des Frères Lumière

        Face à ces images, est-on choqué par le désastre d’un paysage en flammes ou plutôt captivé par une forme d’exaltation du progrès ? Expriment-elles une critique de la pollution pétrolifère ou magnifient-elles dans un tourbillon de flammes et de fumées le spectacle de la marche inéluctable du capitalisme ? Un film s’ancre naturellement dans le contexte culturel de son époque et à l’heure où les phénomènes nouveaux de l’industrialisation étaient perçus comme des attractions, on peut résolument penser que ces images présentées en grande pompe à l’Exposition universelle parisienne de 1900 ont avant tout fasciné par leur aspect spectaculaire. Dans la presse, c’est bien le développement et la prospérité de la région qui sont portés aux nues. [2] La puissance des flammes et des épaisses fumées qui s’en dégagent appellent à une vision à la fois infernale et apaisante, car le plan large installe le spectateur à une distance qui le protège et l’invite à embrasser le phénomène dans toutes ses proportions. Cette distance, spécifique au dispositif cinématographique et condition vitale de la représentation, fait écran. Elle permet au spectateur de passer du choc provoqué par le spectacle du déchainement de la nature à la pensée rassurante de sa propre survie, garantie par sa présence derrière l’écran. Minuscule dans le gigantisme de ce décor qui l’absorbe, l’homme qui marche sans urgence aux pieds du derrick central laisse aussi penser que la situation est quotidienne, maîtrisée et finalement sans réelle menace.

    Ces images hypnotiques s’appuient sur la fascination qu’exercent sur nous les manifestations déchaînées de la nature et les sentiments ambivalents que leur spectacle génère – la sidération et l’hébétude, l’exaltation et la mélancolie, l’effroi et le ravissement. Le paradoxe de cette « terreur délicieuse », le philosophe irlandais Edmund Burke l’a qualifié de « sublime » dans un essai fondateur qui l’instaure en une catégorie esthétique au même titre que le beau ou le pittoresque dans la littérature et la peinture romantique du XVIIIe siècle. [3] Pour Burke comme pour l’Europe entière, le tremblement de terre de Lisbonne, en 1755, est un tournant. Le séisme, suivi d’un tsunami et de violents incendies qui ont transformé la cité portugaise en un vaste tombeau, est considéré comme la première catastrophe globale de l’histoire moderne. L’impact de l’événement se mesure grâce aux multiples récits et gravures qui ont circulé à l’époque en Europe et jusqu’au Nouveau Monde. Les témoignages et les représentations visuelles des ruines de Lisbonne ont créé un paysage affectif permettant à chacun d’éprouver à distance le spectacle de ruines lointaines : ils ont nourri l’imagination des écrivains, des poètes et des philosophes, troublés et émus par la catastrophe. [4] L’événement vient aussi briser l’optimisme du siècle des Lumières – souvenons-nous des vers de Voltaire qui exhortent les « philosophes trompés qui criez tout est bon [à] contempler ces ruines affreuses » [5] - et réactualise le débat sur la responsabilité humaine dans un désastre qui ne peut plus s’interpréter comme un châtiment divin. Renonçant à « l’indiscrétion coupable de vouloir découvrir les intentions divines » dans le spectacle des ruines de Lisbonne et à « l’extravagance d’aller chercher l’origine du mal à des milliers de kilomètres de distance alors qu’il est possible de la trouver si proche de nous » [6], Emmanuel Kant évoque le sublime comme un « plaisir négatif » ressenti en deux phases : un sentiment qui effraie d’abord le spectateur parce qu’il est confronté à un objet qui dépasse les capacités de son imagination, puis qui le rassure dès lors qu’il prend conscience de l’état de ses propres limites. « La nature évoque surtout les idées du sublime par le spectacle du chaos, des désordres les plus sauvages et de la dévastation, pourvu qu’elle y manifeste de la grandeur et de la puissance », écrit Kant dans sa Critique de la faculté de juger[7] Aux yeux du philosophe de Konigsberg, le sublime marque la limite de la représentation. Grâce à la prise de conscience de sa propre finitude, l’homme peut conquérir ou plutôt prendre possession rationnellement de la nature.

      « Le sublime de l’Anthropocène, et sa mise en scène d’une humanité devenue force tellurique, signe la rencontre historique du sublime naturel du XVIIIe siècle et du sublime technologique des XIXe et XXe siècles », affirme l’historien Jean-Baptiste Fressoz[8] Cette grammaire du spectaculaire, que les images documentaires et de fiction vont amplement exploiter grâce à des moyens technologiques toujours plus avancés, réactive les mêmes ressorts psychologiques et vise à créer un état de choc. « L’image cinématographique doit avoir un effet de choc sur la pensée, et forcer la pensée à se penser elle-même comme à penser le tout. C’est la définition même du sublime », écrivait Gilles Deleuze[9] Ce parti-pris d’exploiter les potentialités du cinéma au service de la puissance physique d’un phénomène environnemental s’avère à double-tranchant : d’un côté, il invite à éprouver le paysage, à en faire l’expérience par l’imaginaire, à préparer le spectateur par un choc esthétique à la réalité. De l’autre, le spectacle risque de voiler par le choc qu’il génère le coût environnemental de ce que l’on voit, autrement dit d’empêcher tout processus réflexif et de reléguer le réel écologique au second plan.

2 - Des symphonies environnementales

      Au début du XXème siècle, le documentaire s’invente et devient le lieu d’une prise de conscience du monde. Les pionniers du genre sont des explorateurs et l’aventure de leurs films a valeur d’ethnographie. Le spectacle de la nature se dévoile, dans ses variations sauvages, indigènes et sublimes. En filmant Nanook of the North (1922), l’un des premiers longs métrages documentaires, Robert Flaherty s’attache à montrer des individus en lutte pour leur survie contre le froid et la neige. Dans la caméra du cinéaste américain, la nature semble à la fois majestueuse et implacable, et tout l’enjeu de ses protagonistes consiste, au prix d’une résistance héroïque et dramatisée pour l’occasion, à (sur)vivre en harmonie avec elle. La même idée parcourt Grass, a nation’s battle for life (1925), réalisé en Iran par deux des futurs créateurs de King Kong, sur le chemin de transhumance d’un peuple nomade à travers les monts Zagros. Les déchainements extrêmes de la nature - tempête de sable, sècheresse, traversée d’un torrent ou d’un col enneigé – représentent autant de périls qui les dépassent, qu’ils subissent et qu’il leur faut surmonter.

        Lorsque le cinéaste ukrainien Victor Tourine filme la construction du chemin de fer reliant le Turkestan à la Sibérie, il ne s’agit plus seulement de lutter contre une force tellurique, mais bien de l’assujettir. A l’avant-garde du cinéma soviétique, il livre avec Turksib, la route d’acier (1929) un « western rouge » [10] qui sert la propagande du premier plan quinquennal de la nouvelle Union soviétique. Depuis les vastes plaines kazakhes jusqu’aux forêts sibériennes, le chantier est le récit d’une course contre le temps et contre la nature inhospitalière. L’homme, qu’il s’agisse des officiers soviétiques qui contrôlent les travaux ou des visages anonymes qui œuvrent en masse sous leur surveillance, mène une véritable « guerre contre le primitif » (« war against primitive »). « La terre austère est brisée, déchiquetée par le travail de l’homme », lit-on dans l’un des intertitres qui jalonnent le récit et rythment les interactions entre les paysages et les hommes. Cette conquête de la nature s’incarne dans la célébration lyrique et enchanteresse des puissantes machines chargées de la soumettre. Point de sublime dans la beauté menaçante des paysages mais dans le rythme des coups de pioches et de pelleteuses qui retournent la terre, des explosions qui déforment le territoire et des cadrages dramatiques du train, cette machine alors miraculeuse qui ouvre un horizon de terres vierges et inconnues en même temps qu’elle relie les hommes. En glorifiant la victoire de l’homme et de ses machines contre la nature, Turksib, la route d’acier esquisse les capacités du documentaire à mobiliser le « sublime technologique » au service d’un récit national.

      A la croisée de ces influences esthétiques, techniques et politiques où le documentaire acquiert ses lettres de noblesse, émergent dans les années 1930 les premiers films qui explorent spécifiquement les enjeux environnementaux. Aux États-Unis, plusieurs catastrophes s’ajoutent à la détresse et à la misère des Américains dont la vie est déjà bouleversée par la Grande Dépression. Dans les newsreels, les images des sécheresses à répétition, des tempêtes de poussières, des inondations ou de l’érosion ont des allures d’apocalypse. Elles bouleversent, après des années de conquête et d’abondance, les mythes fondateurs de l’Amérique et appellent à de nouveaux récits. C’est l’un des objectifs de la « nouvelle donne » chère à Franklin Roosevelt : pour mener à bien leurs grands travaux, les chantres du New Deal encouragent les artistes à repenser la rencontre entre l’homme et son territoire. Subventionnés par le gouvernement, photographes, peintres ou cinéastes forment un vaste mouvement esthétique au service d’un nouveau lexique de la nation. C’est dans ce cadre éphémère que sont notamment produits The Plow That Broke the Plains (1936) et The River (1937), deux documentaires de Pare Lorentz qui vont inscrire la catastrophe écologique dans le mouvement de l’Histoire en pointant pour la première fois la responsabilité humaine.

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The Plow That Broke the Plains, Pare Lorents, 1936 © Franklin D. Roosevelt Presidential Library and Museum

      Avec The Plow That Broke the Plains, qui évoque les tempêtes de poussières (« Dust Bowl ») qui ont dévasté les grandes plaines du Midwest américain, le journaliste et critique Pare Lorentz rompt avec le mythe de la frontière et de ses légendaires pionniers pour présenter l’histoire environnementale américaine comme le récit d’un déclin. Dès son prologue, le film décrit les grandes plaines comme un paradis et se présente comme « une mise en images de ce que nous en avons fait » (a picturization of what we did with it). Contrairement aux images d’actualités qui interprètent ce désastre comme une calamité naturelle ou aux photographies qui figent la dévastation et la misère, la lecture de Lorentz fait de l’événement non plus un phénomène naturel mais le produit d’une histoire américaine. Les premières séquences ancrent le film dans le vaste paysage des plaines et vantent l’équilibre naturel de l’écosystème qui prévalait avant l’arrivée des hommes. Cette vision s’appuie sur les théories scientifiques nouvelles comme celles du botaniste Frederic Clements qui fait des grandes plaines l’archétype d’une « communauté harmonieuse » (climax community) où tous les organismes vivants peuvent coexister de manière stable. Le film s’attelle ensuite à démontrer comment les fermiers et leurs tracteurs d’acier ont ignoré et détruit cette réalité écologique. Alors qu’à l’image un paysan travaille la terre, le commentaire s’adresse directement à lui en guise d’avertissement : « Pionnier, labourez à vos risques et périls ! » (Settler, plow at your peril!). Il accuse la guerre, dans laquelle les États-Unis s’engagent en 1917, assimilant les tracteurs qui broient la terre aux chars d’assaut – symboles de la massification de l’industrie automobile, puis la frénésie spéculative des années 1920 d’avoir transformé les prairies en wasteland et provoqué la fureur de la nature. Les vents puissants et les tempêtes de poussières qui s’abattent sur les hommes et les poussent sur les routes de l’exil représentent l’aboutissement de cinquante ans d’exploitation massive d’un espace qui semble désormais condamné.

        L’esthétique de The Plow comme de The River (1938), qui s’engage dans une démonstration similaire à partir des crues catastrophiques et récurrentes du fleuve Mississipi, se fonde sur l’interdépendance de l’homme et de l’environnement. A l’écran, l’environnement est considéré dans l’ensemble de son tissu écologique, l’homme étant l’un de ses agents biologiques. L’usage du grand-angle et des panoramiques permet au spectateur d’accéder à une vision holistique du territoire. A l’inverse des images d’actualités ou des photographies qui tendent à privilégier les portraits, Lorentz refuse de se focaliser sur un individu ou un groupe. Son récit est le fruit d’une histoire partagée entre l’homme et l’environnement, et c’est dans l’entremêlement de l’un et de l’autre tissé au montage que se déploie sa force dramaturgique. Comme l’affirme  Raphaël Nieuwjaer, « l’environnement n’est dans ces films ni l’arrière-plan des actions humaines, ni une matière à exploiter, ni encore une divinité généreuse ou capricieuse. Il se modifie, et modifie par là même la qualité et la nature des interactions possibles avec lui. » [11]

        Pare Lorentz articule cette vision écologique avec un texte en vers libres scandé comme un poème biblique. Accompagnée par le lyrisme de la composition musicale de Virgil Thompson, cette rhétorique religieuse donne au commentaire accablant une allure de sermon politique. Elle s’inscrit, selon Finis Dunaway, dans la tradition des jérémiades puritaines et dans la ferveur spirituelle qui imprégnait les réformateurs du New Deal qui voyaient dans ce discours catastrophiste la possibilité d’une rédemption. [12] Dans The Plow comme dans The River, le narrateur juge et condamne ceux qui ont pêché contre la nature à subir sa fureur. Son prêche les accuse d’avoir brisé l’équilibre des grandes plaines et favorisé l’érosion des vallées traversées par le Mississipi. Or les deux films ne se terminent pas sur la même note. La première est apocalyptique : les arbres morts de The Plow n’offrent aucune issue possible, ce qui achève d’ailleurs de creuser le fossé entre ce film commandé par le gouvernement fédéral et l’industrie hollywoodienne qui s’emploie jusqu’ici à représenter le désastre environnemental comme un prétexte au triomphe héroïque de l’homme sur l’adversité. [13] Lors du dernier tiers de The River, en revanche, l’homme trouve son salut dans le sublime technologique. Des archives dévoilent les efforts entrepris par la Tennessee Valley Authority (TVA) pour ressusciter le territoire, conserver ses ressources et restaurer son équilibre. Les prises de vues déploient les gigantesques barrages dans leur monumentalité, comme des merveilles surgies de la nature elle-même pour panser les plaies profondes des paysages américains. L’innovation technologique devient l’instrument du renouveau et sa mise en scène renforce l’idée d’une nation purifiée de ses péchés écologiques. « Nous avions le pouvoir de briser la vallée, nous avons le pouvoir d’en recoller ses morceaux » (We had the power to take the Valley apart, we have the power to put it together again), affirme le commentaire. Quand The Plow se refuse d’offrir au spectateur la satisfaction d’une rédemption possible, The River glorifie la maîtrise de l’homme sur la nature grâce au sublime technologique.

      Ultime commande du gouvernement fédéral américain, The Land (Robert Flaherty, 1942) conclut une trilogie que l’on pourrait qualifier de « symphonies environnementales », en référence aux symphonies urbaines qui ont influencé le genre par leur composition et leur montage. [14] Porté lui aussi par un commentaire et une musique orchestrale qui dramatise le spectacle de la dévastation, le film de Robert Flaherty s’inscrit dans la lignée de la structure narrative dessinée par Pare Lorentz et désormais archétypale de ce type de documentaire environnemental : la situation initiale dévoile le spectacle de la nature en harmonie, l’industrialisation humaine vient la perturber, les conséquences des catastrophes sont autant de péripéties, et la résolution finale propose deux alternatives, le désastre ou le salut. Mais là où Pare Lorentz établissait les grandes plaines et le fleuve en personnages principaux, Flaherty recentre son propos sur les hommes, femmes et enfants qui traversent cette page tragique de l’agriculture américaine. Son récit ne se tisse plus dans la reconstitution de l’histoire mais dans le présent des fermiers dépossédés et forcés à l’exil, au gré de ces visages muets et anxieux qui rappellent les photographies de Dorothea Lange et de Walker Evans, et que le narrateur rencontre dans son périple à travers l’Amérique de la Grande Dépression. A travers la caméra de Flaherty, l’érosion du sol, provoquée par l’intense mécanisation des pratiques agricoles, préfigure celle de la société toute entière, victime des conséquences économiques, sociales et raciales de la destruction des territoires.

        En même temps qu’il marque l’apogée du New Deal, The Land dévoile aussi dans sa tentative de réconcilier l’environnement et la technologie toute l’ambivalence de cette politique. Tout au long du film, les machines sont perçues comme une force à la fois destructrice et nécessaire. Incontrôlables et dominatrices, elles sont à l’origine d’une vision dystopique, celle d’une terre éventrée, bouleversée, et de milliers de familles déplacées. Elles portent la responsabilité du déclin du territoire américain, mais elles détiennent aussi les clés de sa résurrection. Comme Lorentz et ceux qui le financent, Flaherty est convaincu de la nécessité du progrès technologique et de son potentiel dans la régénération des paysages. S’il laisse transparaître dans une douce ironie ses interrogations sur le devenir de ces hommes ainsi dépossédés de leur activité par la machine, les visages de ces migrants devenant ceux d’une civilisation en train de disparaître à l’image des communautés que Flaherty a pu filmer au cours de sa carrière, le film trouve sa résolution dans la maîtrise de ces machines capables de sauver du déclin la société américaine. « Nous sommes en train de sauver le sol. Grâce à nos machines fabuleuses, nous pouvons rendre chaque demi-hectare de ce pays encore plus fort » (We are saving the soil/ With our fabulous machines, we can make every last acre of this country strong again), affirme le commentaire sur les plans aériens des paysages reconfigurés par les scientifiques et les planificateurs du New Deal. Depuis son avion, la caméra de Flaherty propose un monde miniature ordonné et régulé où les autorités fédérales projettent leur rêve de contrôle de la nature. Jusque dans sa démarche même, le cinéaste exploite de nouvelles techniques cinématographiques au service d’une vision du futur articulée autour d’un équilibre retrouvé grâce à la gestion technologique de la nature.

3 - L'âge technologique 

        Si ces films sont les premiers à faire prendre conscience à l’humanité qu’elle est capable de se détruire elle-même en altérant l’environnement nécessaire à sa survie, la Seconde Guerre mondiale marque une nouvelle rupture. Le caractère global du conflit, nécessitant des capacités logistiques, industrielles et énergétiques jamais autant mobilisées jusqu’ici, joue un rôle décisif dans le basculement vers l’Anthropocène. Selon les historiens Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, la guerre est à l’origine de la « Grande Accélération » des années 1950 car elle prépare le cadre industriel, technique et juridique de la société de consommation de masse. Surtout, précisent-ils, « la guerre, en créant un état d'exception, a justifié et encouragé une « brutalisation » des rapports entre société et environnement. » [15]  Les bombardements atomiques des villes de Hiroshima et de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, en fournissent la preuve la plus évidente en rendant concrète la perspective d’un suicide de l’humanité et de son environnement. Pour la première fois, la contamination irréversible de l'atmosphère par les produits de la fission nucléaire faisait planer la menace d'une catastrophe écologique globale. La célèbre photographie aérienne du champignon nucléaire, prise avec un simple Kodak 25 depuis le bombardier Enola Gay et qui fut publiée dans la presse dès le 11 août, a marqué les consciences et les imaginaires de manière indélébile.

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The Atom Strikes!, Us Army Signal Corps, 1946 - https://www.youtube.com/watch?v=R85Kbe-kHeI

        Les images cinématographiques, elles, ont été soigneusement élaborées, tournées avec plus ou moins de réussite, et surtout instrumentalisées par la propagande américaine avec un double objectif : accentuer le pouvoir spectaculaire et symbolique de l’explosion atomique tout en dissimulant autant que possible les images de ses conséquences. Ainsi peut-on comprendre la déclassification précoce des images de la première explosion nucléaire de l’histoire effectuée dans le désert du Nouveau-Mexique le 16 juillet 1945. Les prises de vues, enregistrées à l’aide de trois caméras installées à près de dix kilomètres de l’impact, sont même utilisées dès le mois d’octobre dans le film de fiction Shadow of Terror (Lew Landers, 1945), anticipant l’importance que prendra la bombe dans le cinéma catastrophe hollywoodien. [16] Ainsi peut-on également appréhender la confusion, récemment révélée, autour de l’exploitation dans les médias des images aériennes de l’explosion atomique de Nagazaki, considérées comme plus spectaculaires et plus impressionnantes, en lieu et place de celles de Hiroshima. [17] Il s’agit à l’époque pour le gouvernement américain de causer par le choc de l’explosion le maximum d’impacts psychologiques afin de forcer le Japon à capituler tout en s’assurant par le recours à l’arme ultime la reconnaissance internationale de sa supériorité. 

        La spectacularisation des images aériennes des explosions s’avère d’autant plus frappante qu’elle relègue dans le hors-champ les catastrophes qui se déroulent au sol. Parmi les premiers films à rendre compte des conséquences des événements, The Atom Strikes ! (1946) est à ce titre révélateur. Produit par les services cinématographiques du Signal Corps à destination du personnel militaire, comme tous les documentaires appartenant au programme du « Army-Navy Screen Magazine » dirigé par Frank Capra, ce moyen métrage a longtemps été tenu secret. Aux premiers temps de l’occupation militaire américaine du Japon, journalistes, cinéastes ou photographes indépendants furent interdits de pénétrer dans les villes bombardées. D’autres images furent captées par les Japonais mais elles finirent par être confisquées puis, comme l’ensemble des rushes tournés après les déflagrations, censurées par les autorités américaines. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour qu’elles soient révélées au compte-gouttes au grand public. [18] The Atom Strikes ! se compose des images tournées par les opérateurs militaires venus accompagner, en septembre 1945, le groupe d’experts américains chargés d’évaluer les effets des attaques atomiques dans les deux villes sinistrées.

        Le film s’ouvre sur les plans, sonorisés pour l’occasion, de l’essai atomique de Trinity. Face à « la plus forte explosion jamais observée sur la Terre », la caméra marque de longues secondes le temps de l’explosion avant de se redresser, d’un geste brusque qui témoigne de la stupeur qui a saisi l’opérateur, vers l’imposant nuage de fumée qui transperce le ciel. Le film dévoile ensuite la ville de Hiroshima transformée en un champ de ruines. Des soldats guident à l’écran le spectateur au cœur de la dévastation des bâtiments militaires et civils, des ponts et des routes, tandis que le commentaire dénonce l’incapacité des structures japonaises à résister au pouvoir de l’atome. Seuls quelques arbres calcinés qui tiennent encore debout habillent ces images de désolation : aucune victime, aucun blessé ne sont ni mentionnés ni montrés, comme si la ville n’avait jamais été habitée. Un seul témoignage est recueilli, celui d’un professeur de philosophie néerlandais présent à deux kilomètres du point zéro qui estime le nombre de victimes à plus de cent mille avant de légitimer l’utilisation de la bombe pour mettre fin à la guerre. Dans la même perspective, le dernier tiers du film évoque l’explosion de Nagasaki. Alors qu’il filme le développement du nuage radioactif en plongée depuis l’un des avions d’observation, le caméraman opère un travelling circulaire autour des immenses volutes du panache nucléaire. La bombe ayant explosé en altitude, le commentaire minimise les effets de la radioactivité sur la population de Nagasaki et s’attarde sur les dégâts matériels considérables du bombardement. Une dernière séquence montre enfin une poignée de Japonais en train de reconstruire fébrilement leur habitat avant que l’image de l’explosion foudroyante de Trinity ne surgisse à nouveau. Cette focalisation sur le spectacle de l’explosion atomique et sa puissance dévastatrice, invisibilisant les morts immédiats, les survivants et les sols qui subissent les séquelles encore méconnues de l’irradiation, rejoint la vision du président Harry Truman, selon laquelle les deux bombes auront permis d’épargner des vies, en l’occurrence celles des milliers de soldats américains qui auraient été contraints à un débarquement. L’absence et l’anonymat des victimes façonne, des années durant, une image ambivalente du nucléaire entre la toute-puissance prométhéenne et la catastrophe apocalyptique aux dommages irréversibles et invisibles. 

       « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie », écrivait Albert Camus. « Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. » [19] Les années 1950 sont marquées par l’émergence de la Guerre Froide, la course aux armements et la perspective d’un « hiver nucléaire » qui résulterait d’une éventuelle guerre atomique. Plusieurs films de propagande comme You Can Beat the A-Bomb (1950) et Survival under Atomic Attack (1951), qui préparent les Américains à une attaque en recyclant les images spectaculaires de Trinity et de Nagasaki, traduisent cette inquiétude aux États-Unis. Alors que le spectre de la bombe à hydrogène commence à hanter les imaginations, le président américain Eisenhower lance en 1954 son mot d’ordre de « l’atome pour la paix » en prônant les applications pacifiques de l'énergie nucléaire. En France, le stratège Camille Rougeron en expose certaines dans une monographie : « modifier le cours des rivières et du climat, faire fondre les glaciers, construire des centrales énergétiques souterraines, exploiter les minerais inaccessibles. » [20] La catastrophe, réelle, censurée, est travestie en emblème de la paix au service de la domination technologique de l’homme sur la nature. 

 

     Deux films documentaires scientifiques, chacun récompensé par les Oscars, marquent l’époque en proposant de nouvelles manières de contempler le spectacle de la nature, en particulier celui de la vie sous-marine. Le premier, The Sea Around Us (1952), est une adaptation du best-seller éponyme de la biologiste américaine Rachel Carson dont les ouvrages suivants – à l’instar de Silent Spring (1962), qui dénonce l’utilisation des pesticides – vont contribuer par la vulgarisation scientifique à faire exister de nouveaux récits semés comme autant de graines qui permettront l’émergence des mouvements écologistes. Réalisé par Irwin Allen, surnommé quelques années plus tard le « maître du désastre » pour ses films de catastrophe, The Sea Around Us est un mélange composite d’images en Technicolor provenant de multiples expéditions marines et sous-marines. Il repose essentiellement sur l’émerveillement suscité par ces images inédites qui rendent pour la première fois visibles la vie des océans, mais il peine à les intégrer, comme Rachel Carson tente de le faire dans son livre, dans un récit beaucoup plus large entremêlant découvertes scientifiques, contrôle technocratique et expansion industrielle au service d’une nouvelle relation à établir entre le monde naturel et la civilisation moderne. L’ultime séquence du film, en revanche, fait une annonce prophétique : le commentaire évoque une « théorie scientifique secrète et documentée » selon laquelle la fonte des glaces qui s’accentue depuis le début du siècle fait monter le niveau des océans et risque de noyer la moitié de la surface de la Terre. A mesure que de lourds morceaux d’icebergs s’effondrent de manière spectaculaire dans les eaux de l’Arctique, le commentaire affirme pour la première fois que le réchauffement climatique est une menace pour l’homme. Ce discours qui spécule de la catastrophe à venir demeure toutefois réduit à la célébration de l’effort héroïque des scientifiques qui bravent les dangers de la nature à leurs risques et périls. 

      Pionnier dans l'histoire du documentaire de vulgarisation océanographique [21], Le Monde du Silence (1956) déploie le même esprit de conquête scientifique. Réalisé par Louis Malle et Jacques-Yves Cousteau, le film se nourrit d’une double approche cinématographique et scientifique pour déployer à l’écran à la fois de nouveaux appareils de prise de vue (une caméra sous-marine enfermée dans un caisson imperméable) et des techniques modernes de plongée (« l’Aqua-Lung » ou le scaphandre autonome, breveté par Cousteau en 1946). Première Palme d’Or attribuée à un documentaire, puis oscarisé l’année suivante, Le Monde du Silence explore les profondeurs de la vie sous-marine par la mise en scène des aventures des plongeurs de la Calypso, ces « surhommes subaquatiques (qui) rencontrent en nous-mêmes de secrètes, profondes et immémoriales connivences » selon les mots d’André Bazin qui en livre une critique dithyrambique. [22] Au-delà de la beauté des images, imprégnées par l’abondance du vivant, l’expédition dévoile plusieurs séquences de destruction d’origine anthropique – l’explosion à la dynamite d’un récif de coraux provoquant l’agonie des poissons, le massacre de dizaines de requins… - que l’équipage justifie au nom de l’expérimentation scientifique.  Au-delà du fait que les déplacements de la Calypso étaient financés par des compagnies pétrolières, le regard porté sur ces scènes cinquante ans plus tard se fait beaucoup plus critique, preuve de l’évolution des consciences en matière d’environnement. Dans le contexte du film, la nature est alors encore perçue comme une mère nourricière aux ressources inépuisables. L’exploration scientifique, qui ne peut se faire que par la destruction de l’environnement, s’appuie sur l’idée concrète de la supériorité de l’homme sur une nature soumise à sa volonté et à sa soif de connaissance. Elle s’explique aussi par la recherche d’images sensationnelles destinées à captiver le grand public. A ce titre le film rejoint les premières grandes séries documentaires comme celles produites par Disney de 1948 à 1960 (True Life Adventures) ou encore par la CBC à partir de 1960 (The Nature of Things), qui font du spectacle de la nature sauvage et de sa gestion scientifique un programme divertissant à consommer depuis les télévisions.

4 – Les années 68, terrains de luttes et d’expérimentations

      Le 24 décembre 1968, près d’un milliard de téléspectateurs – un quart de la population mondiale – contemplent la planète depuis leur petit écran. La vision du « lever de Terre », capté depuis l’orbite lunaire par les astronautes d’Apollo 8, puis celle de la « bille bleue » en 1972, bouleversent notre rapport au monde. « La Terre a pour la première fois la chance de se voirelle-même, de se rencontrer de la même façon que l’homme qui se voit dans le reflet du miroir », écrira le philosophe Günther Anders, l’auteur visionnaire de L’Obsolescence de l’homme[23] L’image provoque une onde de choc et accompagne l’émergence d’une prise de conscience globale de la vulnérabilité de la planète alors même que l’homme a acquis la capacité technologique de la réduire en cendres. Elle deviendra l’icône populaire du Jour de la Terre, en 1970, la première manifestation environnementale d'envergure - plus de 20 millions d’Américains dans les rues - qui mènera à la création de l'agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA) et à l'adoption des lois « Clean Air, Clean Water, and Endangered Species ». 

      Catalyseur de l’effervescence contestataire des années 1968, la guerre du Vietnam joue aussi un rôle dans l’émergence de cette conscience écologique. La destruction systématique de la forêt tropicale et des zones cultivables y devient un objectif stratégique pour l’armée américaine qui, après les bombes incendiaires et le napalm, pulvérise plus de 80 millions de litres de défoliants issus d’herbicides de synthèse (l’« agent orange » de Monsanto et de Dow Chemical), éradiquant près de 20% de la totalité du territoire du Sud-Vietnam. Dans ce contexte s’invente, lors de la Conférence sur la guerre et la responsabilité nationale de Washington (1970), le concept d’écocide. [24] C’est aussi le temps du retentissant rapport Meadows sur les limites de la croissance (1972) qui appelle, en dressant les conséquences écologiques de la croissance économique, à une gestion rationnelle de la démographie et des ressources mondiales. Cette révolution environnementale se caractérise dans la décennie par la signature de 47 conventions internationales dont la première conférence de l'ONU sur l'environnement humain à Stockholm (1972). Ce contexte institutionnel favorise le développement d’un vaste réseau d’organisations non gouvernementales dédiées aux problèmes environnementaux (Friends of the Earth, the World Wildlife Fund, Greenpeace, Earth First!...) et avec elles une profusion de nouvelles images associées à la communication et à l’éducation. EKOFILM, le premier festival international de films consacrés à l’environnement, voit le jour dès 1974 à Prague. Il sera le premier d’une longue liste de festivals qui permettront au documentaire environnemental d’essaimer dans la diversité de ses approches.

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Minamata - Kanjasan to sono sekai, Noriaki Tsuchimoto,1971 © Zakka Films

      A l’époque des ciné-tracts et des collectifs cinématographiques – Iskra et les groupes Medvedkine en France, Ogawa Pro au Japon, Cinegiornali Liberi en Italie - la caméra devient une arme de contre-information qui donne à entendre autant qu’à voir les luttes sociales et environnementales. Portée par une cause, destinée à générer du débat et de l’impact, elle se veut partie intégrante de l’action filmée. Projeté lors de la Conférence de Stockholm, le documentaire Minamata – Kanjasan to sono sekai (Minamata – les victimes et leur monde, Noriaki Tsuchimoto, 1971) révèle la dimension traumatique des problématiques environnementales. Il brise le silence autour de l’un des plus grands scandales de pollution industrielle de notre histoire : le rejet depuis 1932 de métaux lourds, en particulier du mercure, dans la baie de la ville japonaise de Minamata par une usine de l’entreprise Chisso, alors fleuron de l’industrie pétrochimique japonaise. Observée chez les pêcheurs et les familles ayant consommé du poisson ou des coquillages, la « maladie de Minamata », qui se traduit par d’étranges symptômes neurologiques, sensoriels et moteurs, fait plusieurs milliers de victimes à partir de 1956. L’œuvre du cinéaste activiste Noriaki Tsuchimoto, ancien vice-président de l’organisation radicale étudiante Zengakuren, lui est indissociable : ses dix-sept films réalisés entre 1965 et 2004 représentent une somme documentaire magistrale sur le désastre environnemental de Minamata en même temps qu’ils témoignent des combats au long cours menés par les victimes des effets toxiques du mercure. Profondément meurtri, lors de sa première visite en 1965, par le rejet dont les médias font l’objet parmi les victimes – une souffrance que ni l’entreprise qui fait vivre la région ni l’État lancé dans une croissance effrénée ne veulent voir ou entendre, Tsuchimoto s’interroge sur la possibilité de rendre compte de la tragédie environnementale. La violence des corps qui ne répondent plus et qui subissent la présence voyeuriste de la caméra bouleverse le regard qu’il porte sur son rôle, son rapport au réel et le statut de ses images. [25]

      Cinq ans plus tard, de retour à Minamata, ces questionnements éthiques parsèment une approche qu’on pourrait qualifier de symbiotique : le film n’émerge pas du seul point de vue auctorial mais de l’immersion des filmeurs dans le quotidien des filmés aux prises avec leur environnement empoisonné. Il est une plongée intime dans le monde des victimes, dont les portraits se tournent à mesure des rencontres, leurs voix façonnant la narration à l’exception des rares interventions des médecins ou du cinéaste lui-même. Tsuchimoto s’invite dans le cadre comme une volonté d’instaurer une forme d’égalité avec les protagonistes qui s’exposent avec lui au regard de la caméra. Il partage avec eux ses images qui les dévoilent dans la diversité de leurs rapports à la mer, à la pêche, à la préparation de ce poisson qui les nourrit et qui les tue. Il les filme toujours dans l’interaction avec le vivant, dans la complexité de leurs rapports à un environnement altéré par une présence invisible, comme dans l’intimité de leurs rapports familiaux, entre les générations d’hier et d’aujourd’hui, entre les individus sains et les malades, dans la continuité de leurs vies menacées. Malgré l’absence de son synchronisé, les témoignages ancrent le récit dans leur combat pour la reconnaissance et la compensation, qui culmine avec les cris étouffants d’une des victimes confrontées à l’indifférence du président de Chisso. Images d’une lutte sociale et politique appelée à s’inscrire dans la durée, et que l’œuvre de Tsuchimoto accompagnera non sans difficultés au Japon et surtout à l’étranger où sa diffusion auprès de communautés affectées par les mêmes maux invisibles contribuera à faire évoluer la législation et la justice. [26]

        Caméra au poing, caméra témoin, le documentaire s’imprègne de l’urgence de dire et d’agir face à ces désastres environnementaux dont l’origine anthropique ne fait désormais plus guère de doutes, comme en attestent les gigantesques marées noires causées par les naufrages du Torrey Canyon (1967) ou de l'Amoco Cadiz (1978) sur les côtes bretonnes. Au large de Portsall, où le supertanker échoué déverse ses milliers de tonnes de mazout, le cinéaste René Vautier donne la parole aux comités qui dénoncent les mensonges des politiciens relayés par les médias (Marée noire et colère rouge, 1978). Dans son sillon, Nicole et Félix Le Garrec font entendre en off les voix mêlées de colère, de révolte et de désespoir des riverains et des marins pêcheurs du village qui ont sonné l’alarme et n’ont pas été écoutés. Les images de Mazoutés aujourd’hui (1978) s’attardent sur l’ampleur des dégâts et sur l’épuisement des villageois qui tentent de nettoyer la plage avec les moyens du bord. Au-delà de leur finalité – filmer les traces de la catastrophe - elles renforcent la vérité de l’incompréhension et de la détresse qui ressortent des discussions intimes provoquées par le couple de cinéastes bretons. Nous assistons, en tant que spectateurs, à l’émergence d’une conscience écologique qui se déplace désormais sur le terrain politique.

        « Mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain » : ce slogan imprimé sur les autocollants se crie dans les rues de Plogoff, cette petite commune du Finistère où l’État a décidé de construire une centrale nucléaire. Avec Plogoff, des pierres contre des fusils (1980),  Nicole et Félix Le Garrec documentent cette fois la lutte pour éviter la catastrophe. Durant les six semaines de l’enquête d’utilité publique décrétée pour décider du sort du projet, ils tissent le portrait d’un mouvement de résistance de plus en plus rassembleur et déterminé. Par cette chronique au jour le jour, chez l’un, chez l’autre et avant tout au cœur d’une confrontation extrêmement brutale avec les forces de l’ordre, le film ne déploie plus seulement une conscience écologique en gestation mais s’ancre dans l’apprentissage de la lutte là où rien ne la prédestinait. Les protagonistes anonymes de cette lutte, qui engagent toutes les générations, des enfants aux personnes âgées et particulièrement des femmes, confient aux filmeurs une parole libre et consciente des enjeux du présent et de l’avenir pour lequel ils se battent. La menace qui pèse sur ce territoire rural est absente mais elle parsème le film. Elle s’incarne, dans la texture du 16 mm, dans les contrastes qui surgissent entre l’armada militaire qui envahit et trouble ses paysages bucoliques et les lance-pierres de ses défenseurs. Elle se ressent dans la violence de ces assauts répétés, souvent représentés par des images fixes quand la pellicule vient à manquer, et que la matière sonore habille magistralement pour mieux la faire résonner. Le film s’appuie sur la proximité établie avec les insurgés qui ont vite compris que ces images participent à leur lutte, qu’elles s’avèrent nécessaires pour tenir moralement, pour rendre compte et pour figer la mémoire des évènements. La colossale mobilisation et l’intense détermination de la population ont finalement raison du projet et le jour de la victoire, ce sont les troupeaux du Larzac qui viennent paître, symboles d’une convergence des luttes anti-nucléaires et paysannes, sur le site promis au béton. 

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Fata Morgana, Werner Herzog, 1969 © Werner Herzog Filmproduktion- Potemkine Films

       A l’opposé du cinéma direct et de son ancrage dans le réel, l’époque est aussi celles des expériences radicales et des rêves de civilisation. Toute l’œuvre de Werner Herzog est traversée par la recherche d’une nouvelle grammaire d’images capables de transfigurer la réalité pour en révéler, comme il l’écrit lui-même, une forme de « vérité extatique ». [27] « Les images de la société dans laquelle nous vivons ne suffisent plus », affirme le cinéaste dans un entretien diffusé en 1979. « Si nous ne trouvons pas les images adéquates et un langage adéquat pour que notre civilisation puisse les exprimer, nous mourrons comme les dinosaures. Nous reconnaissons que les pénuries d’énergie, les crises environnementales, l’enjeu du nucléaire ou la surpopulation mondiale menacent notre société. Mais les enjeux de cette ampleur n’ont pas été suffisamment compris car nous ressentons le besoin absolu de nouvelles images. » [28] Fata Morgana (1971) met en scène cette crise de la représentation en explorant le mirage de notre civilisation sur la planète. Empruntant en commentaire des extraits du Popol Vuh, un texte sacré de la mythologie maya qui présente le récit de la création du monde comme une succession de catastrophes, le film oscille entre le poème biblique et la science-fiction. Le récit se structure selon trois chapitres - la Création, le Paradis et l’Âge d’or, et l’on retrouve dans chacun d’entre eux des schémas visuels et thématiques récurrents qui traduisent la relation cyclique qu’entretiennent l’homme et la nature. Se tisse alors l’histoire allégorique d’une incompatibilité vouée à l’absurdité et à l’autodestruction.

       La distorsion des paysages, sous l’effet cumulé de la chaleur, du cadrage et du montage, donne au film des allures de conte hallucinatoire. Par sa mise en scène du décor, la durée installée des plans, le rythme de la composition musicale, le récit nous transporte loin du carnet de route en terre africaine qu’il semble annoncer. Comme l’indique Eric Ames, le film est « une exploration de la nature paradoxale de l’image cinématographique qui confronte le spectateur à un espace référentiel qui est aussi fuyant et inaccessible. (…) Fata Morgana initie un processus de mythologisation du paysage comme un espace intérieur, ce qui correspond aussi à une représentation documentaire du monde matériel. » [29] Les effets d’optique bousculent la perception de ces paysages qui se transforment et s’anthropomorphisent – à l’image de ces plans de dunes sculptées en autant de corps féminins aux respirations portées par le souffle du vent. Il s’agit pour Herzog de transformer la simple représentation des paysages en une manifestation susceptible de provoquer la conscience du spectateur convié à faire l’expérience, mystique et imaginaire, de l’infime qu’il représente dans l’immensité de la nature immuable. Dans cette perspective, Alan Singer a qualifié de « sublime ironique » cette intention du cinéaste à procurer au spectateur l’illusion d’avoir transcendé l’Histoire. [30] La beauté des paysages est brutalement souillée par les traces, frontales et bien réelles, du passage de l’homme. Ruines, friches industrielles, cadavres d’animaux, carcasses d’avions ou de tanks à moitié enterrées dans le sable, abandonnées dans l’élasticité et l’abstraction des paysages, ces traces ne portent que le sceau de la destruction, de l’obsolescence et de la chute. Le temps a fait son œuvre et la modernité humaine, transitoire et fugace, ne semble laisser derrière elle que le gâchis du paradis perdu. Vingt ans avant Lessons of Darkness (1992), évoqué plus haut, Fata Morgana propose déjà une sorte d’archéologie de la décadence de l’humanité en interrogeant, par le brouillage de notre perception du réel, les manières d’habiter et d’impacter l’environnement. 

      Dans le sillage de l’écriture expérimentale de Fata Morgana, jusqu’à y faire explicitement référence dans le choix de certains plans, Koyaanisqatsi (Godfrey Reggio, 1982) part du postulat d’une crise du langage, distordu par les leaders politiques, d’opinion ou de religion, et dévalué par l’avènement de notre civilisation technologique. L’approche déployée dans le premier opus de ce qui deviendra une trilogie [31] est non-verbale, mystique et méditative, reposant essentiellement sur le rapport qui s’installe entre l’image, la composition musicale de Philip Glass et le spectateur. Le titre du film, tiré de la culture amérindienne Hopi, se traduit par « vie en déséquilibre » et cette référence indigène annonce, dans la droite ligne de la pensée postcoloniale, un renversement des valeurs entre une vision harmonieuse et primitive de la nature et celle, destructrice et aliénante, de notre civilisation moderne. Toute la finalité du récit tend ainsi à démontrer à quel point cette dernière, absorbée par la frénésie de la condition urbaine des pays industrialisés, a creusé un fossé irrémédiable entre l’humanité et la nature, désacralisée au profit d’une technologie déshumanisante.

        À l’instar de Fata Morgana, l’aspect contemplatif de Koyaanisqatsi dévoile une autre facette du documentaire environnemental que certains auteurs ont qualifié d’ « éco-apocalyptique ». [32] L’une de ses caractéristiques consiste à représenter la planète comme un personnage à part entière. Jouant sur l’hyper-accélération et le slow motion, le film exploite ainsi un arsenal de techniques visuelles alors avant-gardistes comme l’intervallomètre ou le time-lapse dans le but de convier le spectateur à la vision renouvelée d’une civilisation mécanique transformée en un organisme vivant, comme une nouvelle nature qui se serait substituée par la destruction et le progrès technique à la Nature elle-même. En ce sens, le film revitalise les tropes des symphonies urbaines chères à Dziga Vertov ou à Walter Ruttman en y projetant une sensibilité environnementale. Malgré la récupération de ces techniques par la culture populaire, banalisées ensuite dans les clips ou la publicité – ce qui paraît somme toute assez ironique puisque le film dénonce la culture de la consommation de masse en tant que force déstabilisatrice, Koyaanisqatsi résonne d’autant plus aujourd’hui qu’il induit l’idée qu’à l’heure de l’Anthropocène, les êtres humains sont devenus une espèce technologiquement surpuissante qui s’est éloignée du vivant environnant.

5. Green goes mainstream

       Avec la chute du Mur de Berlin, le spectre d’une conflagration nucléaire entre les deux blocs a cédé la place à l’angoisse écologique. La médiatisation des catastrophes de Three Mile Island (1979), de Bhopal (1984) et surtout de Tchernobyl (1986) accentue la prise de conscience environnementale auprès de l’opinion publique, alors que dans le même temps la mobilisation de la coopération scientifique internationale autour des problèmes de l’atmosphère, de l’ozone stratosphérique ou des gaz à effet de serre prend un essor spectaculaire. [33] Au « Sommet de la Terre » de Rio en 1992, plus de cent dirigeants politiques établissent un plan d’action écologique en inscrivant le développement durable, le climat et la biodiversité au cœur des débats. Propulsées sur le devant de la scène, les thématiques environnementales se retrouvent désormais dans les films de science-fiction, d’horreur ou d’animation, dans les westerns ou les mélodrames. Avec la révolution numérique et la démocratisation des moyens d’enregistrer le réel, la multiplicité des diffuseurs avec l’émergence du câble et des plateformes, le documentaire s’en fait, plus que tout autre genre, le témoin et l’archive.

        Parmi la floraison de documentaires environnementaux qui ont essaimé depuis l’entrée dans le nouveau siècle, une grande majorité s’inscrivent dans les grandes tendances qui caractérisent sa longue histoire. Auréolé d’un succès international qui a contribué à populariser la question du réchauffement climatique et son origine humaine auprès du grand public, An Inconvenient Truth (Davis Guggenheim, 2006) est symptomatique de la complexité du genre à articuler un discours scientifique à des stratégies narratives propres au cinéma documentaire. Omniprésent à l’écran et à la voix-off, l’ancien vice-président américain Al Gore porte le film. Sur le mode de la conférence, il se veut le passeur pédagogue et citoyen d’une situation alarmante, mais se transforme en grand prêtre aspirant jusqu’aux voix de ceux qu’il rencontre, savants ou politiciens confondus. Loin de la verve poétique et incantatoire de Pare Lorentz, le discours d’Al Gore y fait écho en s’imprégnant de la même tonalité biblique, jouant sur le péché écologique de la société américaine coupable du traitement qu’elle fait subir à cet environnement qui la menace désormais d’extinction. En appui à ce dispositif professoral, les images spectaculaires des traumatismes écologiques récents ont à la fois pour fonction de susciter un choc émotionnel chez le spectateur et d’illustrer la démonstration d’un narrateur en croisade. Au sein de la communauté scientifique et bien plus encore dans les milieux politiques, le succès du film engendrera de nombreux débats autant sur la véracité des faits étayés dans le film que sur la capacité d’impact et d’influence du documentaire dans la sphère publique.

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Terre, Nikolaus Geyrhalter, 2019 © Autlook Filmsales

       A l’opposé de ce registre argumentatif, le cinéma de Nikolaus Geyrhalter s’inscrit dans la logique contemplative et réflexive de Godfrey Reggio. Traversée entre autres par la question du rapport entre l’homme et la machine, la filmographie du cinéaste autrichien esquisse une sorte de géographie de l’Anthropocène : citons Pripyat (1999), portrait en noir et blanc de la zone contaminée autour de Tchernobyl, Notre Pain Quotidien (2005) qui dévoile l’envers du décor industriel des grandes entreprises de l’agroalimentaire par une succession de plans fixes et de lents travellings sans commentaire ni musique, Homo Sapiens (2016) qui sublime en autant de tableaux les ruines de notre humanité, la narration s’opérant dans les échos qui résonnent entre ces lieux désertés. Cristallisant ces différentes approches visuelles, Terre (2019) s’intéresse à l’Anthropocène à l’œuvre dans ces lieux où s’opèrent ses manifestations les plus concrètes, où l’homme bouleverse la surface de la planète dans des proportions encore plus démesurées que la nature elle-même. Aux pieds de ces gigantesques sites d’excavation et au survol de ces immenses mines à ciel ouvert, le cinéaste cherche dans ses cadres à transmettre l’ampleur du phénomène, à rendre visible dans sa globalité la mécanique de la mutilation des paysages. L’homme et l’environnement n’y sont jamais séparés : le moteur du récit réside dans l’interaction entre l’homme et cette matière avec laquelle il fait corps, comme s’il était lui-même un composant de la machine qu’il manipule.

      L’ampleur et la temporalité de l’Anthropocène n’étant pas véritablement mesurables, la recherche de ses images exhorte toujours à projeter dans la folie du réel le champ des possibles futurs et ses échos dystopiques. L’Asie constitue à cet égard un vaste terrain d’expérimentations, à l’instar de cinéastes comme Wang Bing, Yung Chang ou Jia Zhangke qui se font dans leurs œuvres les témoins de l’Anthropocène et des fictions qu’il suscite. Par exemple, dans Behemoth, le dragon noir (2015) Zhao Liang donne aux gigantesques paysages industriels de la Mongolie des allures de monde d’après. Librement adapté de La Divine Comédie, le récit traverse l’Enfer des mines et des aciéries, le Purgatoire des sacrifices et des souffrances et le Paradis incarné dans l’immense ville fantôme d’Ordos. Le voyage se transforme en une allégorie guidée par des reflets de nous-mêmes en errance dans un cadre forcément brisé par les forces destructrices du monstre façonné par nos mains. Le film ne laisse entrevoir aucune autre issue à l’éco-apocalypse. D’autres, comme Into Eternity (Michael Madsen, 2010), jouent directement des codes de la science-fiction pour interroger, à travers la question du stockage de déchets nucléaires, la transmission de cet héritage aux générations futures. Articulant le sublime oppressant de la gigantesque cave d’enfouissement Onkalo, en Finlande, à la parole de scientifiques, de théologiens et d’ouvriers, le réalisateur s’adresse à une audience imaginaire, celle qui pourrait découvrir le site d’ici plusieurs dizaines de milliers d’années. Au centre de ce récit anticipatoire, la trace que nous laissons et ce qu’elle dit des limites du présent.

       Enfin, n’oublions pas que l’apocalypse est aussi vectrice de renaissance. Prenant acte de la perspective d’une catastrophe, certains films documentaires proposent des visions alternatives en partant du principe que l’effondrement du monde actuel invite par la force des choses à la création d’un monde nouveau. Cette tendance rassemble des œuvres que l’on pourrait voir appartenir à un cinéma dit « prospectif », un cinéma qui montre, selon Dominique Noguez,  que « le monde pourrait être autre qu’il n’est, non pour faire rêver et aliéner davantage, mais en insistant à contrario sur l’arbitraire, le faux "naturel" de ce monde-ci ». [34] Parmi ces films qui expérimentent des solutions individuelles et collectives, citons Nos Enfants nous accuseront (Jean-Paul Jaud, 2008), Nous resterons sur Terre (Pierre Barougier et Olivier Bourgeois, 2009), Solutions Locales pour un Désordre Global (Coline Serreau, 2010), Pierre Rabhi, au nom de la terre (Marie-Dominique Dhelsing, 2013), Demain (Cyril Dion et Mélanie Laurent, 2015), ou encore Qu’est-ce qu’on attend ? (Marie-Dominique Robin, 2016). Comme une tentative de défense contre l’imaginaire d’un futur apocalyptique, ces films renouent avec l’un des principes fondamentaux du discours sur l’Anthropocène qu’on oublie souvent dans l’amas de désastres environnants : l’homme, en tant que force géologique majeure, est capable d’agir et d’influer sur le cours des choses. C’est à lui de prendre en charge le sort de la planète sur laquelle il vit. Cette injonction, posée aux sciences humaines pour penser des réponses face aux changements socio-écologiques, se pose autant aux cinéastes qui tentent de transmettre par l’imaginaire leur propre expérience de l’Anthropocène.

Conclusion

 

       Quasiment un siècle après les Puits de pétrole à Bakou, deux documentaires s’appuyant sur la même nature spectaculaire d’images cristallisent les critiques. Fires of Kuwait (David Douglas) et Lessons of Darkness (Werner Herzog) sont tous deux réalisés sur les cendres encore brûlantes de la Guerre du Golfe et se déploient sur le décor dévasté du désert koweitien où les puits de pétrole, incendiés par les forces irakiennes en retraite, brûlent dans une tempête de feu. Le premier nommé s’articule autour de l’effort héroïque déployé par des pompiers venus du monde entier pour en venir à bout. Tourné en IMAX, le plus grand format existant d'image, Fires of Kuwait se revendique originellement comme un spectacle, une « expérience » destinée à des écrans gigantesques. Cette hyperbole sur l’énormité et la puissance hypnotique des incendies installe le film dans le combat titanesque de l’homme contre la nature. D’autant plus qu’elle s’étend sur plus des deux tiers du moyen-métrage, le récit n’abordant les conséquences environnementales de la catastrophe que durant les dix dernières minutes d’un film qui se termine sur la résurrection du territoire grâce au courage des pompiers. Le message du film, assumé par le commentaire, dénonce ici le coût économique et environnemental des incendies mais le choix de ce format hors-norme combiné aux déséquilibres de la structure narrative réduisent considérablement sa portée, enfermant le documentaire dans une prouesse technologique divertissante qui prend le pas sur tout processus réflexif.

       L’année où Fires of Kuwait est nominé pour l’Oscar du meilleur documentaire, Lessons of Darkness suscite des réactions bien plus hostiles. [35] Le film de Werner Herzog constitue lui aussi une invitation archétypale et directe au sublime de l’Anthropocène, cette fois dans une dimension poétique et méditative. « L’effondrement de l’univers stellaire se déroulera, comme la Création, dans une grandiose splendeur » : dès le préambule, une citation attribuée à Blaise Pascal - que le cinéaste confiera plus tard avoir inventée - appelle à la beauté du spectacle de l’apocalypse. Herzog joue sur l’apocryphe pour élever le spectateur à la dimension spirituelle d’un objet chapitré en treize tableaux à la portée mythologique. Les premières séquences annoncent un film détaché de son contexte – jamais le narrateur ne nomme le Koweït et même s’il donne la parole à certaines victimes brutalisées par les Irakiens, la guerre n’est finalement montrée qu’à travers quelques minutes d’archives d’un bombardement nocturne en infrarouge. A l’inverse le spectateur est convié à s’immerger dans « une planète de notre système solaire », que le cinéaste arpente d’un point de vue extérieur, étranger, voire extra-terrestre. Oscillant entre le documentaire et la science-fiction, le film ne raconte pas l’histoire de ces puits de pétrole mais articule une réflexion métaphysique sur la nature même du spectacle de la destruction. C’est au service de ce processus que se déploie le sublime, à travers un traitement presque minéral du paysage, le mouvement des flammes et des geysers, l’entremêlement des sons et des lumières.

        Les films qui documentent le dérèglement des lois de la nature du fait des activités humaines reconnaissent tous l’échec de notre modernité à assurer au plus grand nombre et dans les meilleures conditions la garantie de sa continuité. Le documentaire environnemental alimente ainsi un climat mental où la peur et l’insécurité, entretenues par la menace d’un effondrement global. L’angoisse de la catastrophe appelle à l’éveil des consciences et à ce titre ces films ont le devoir d’appeler à la mobilisation collective et individuelle. Dans cette perspective où prime le risque de l’incontrôlable, le spectaculaire, renforcé par des moyens technologiques toujours plus puissants, joue forcément un rôle de levier dans l’intensité de cette menace imaginée ou réelle. Plus que jamais, cette esthétique du choc que Walter Benjamin a vu émerger avec l’avènement de la photographie et du cinéma se déploie pour accoutumer le public à l’expérience réelle de la catastrophe qui se joue désormais sous nos yeux.

     « L’Anthropocène s’appuie sur une culture de l’effondrement propre aux nations occidentales, qui, depuis deux siècles, admirent leur puissance en fantasmant les ruines de leur futur », écrit l’historien Jean-Baptiste Fressoz[36] Depuis son origine, et à mesure qu’à l’idée d’une nature qui faisait le destin de l’homme s’est substitué l’impératif écologique, le documentaire environnemental s’est fait le miroir des angoisses de nos sociétés. Cette dimension éco-apocalyptique lui permet de réinterpréter le passé de nos sociétés écologiquement sinistrées et d’interroger l’avenir. Dans le basculement du monde, celui du temps présent et à venir, il révèle l’image que les sociétés post-industrielles construisent d’elles-mêmes, comme la place et le rôle qu’elles assignent à l’homme et à la nature. « Je ne crois pas que la fin soit proche », a dit un jour Werner Herzog, « mais une chose est certaine : nous ne sommes que des invités de passage sur notre planète. On a demandé un jour au réformateur Martin Luther ce qu’il ferait si le monde devait finir demain. Il a répondu qu’il planterait un pommier. Moi, je commencerais à tourner un nouveau film. » [37]

François-Xavier Destors

Cinéaste, François-Xavier Destors explore les enjeux de représentation et de mémoire des crimes de masse, des génocides et écocides. Au Rwanda, il réalise Rwanda, la surface de réparation (86', 2014). Son second long-métrage tisse le portrait de Norilsk, un ancien goulag sibérien devenu l'une des villes les plus polluées du monde (Norilsk, l'étreinte de glace, 2018). 

Références

Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), Oeuvres III, Gallimard, Paris, 2000

Régis Bertrand,  Anne Carol &  Jean-Noël Pelen (dir.),  Les narrations de la mort, coll. Le temps de l’histoire, Presses Universitaires de Provence, 2005

Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Éditions du Seuil, 2016

Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, Paris, Éditions Vrin, Collection Bibliothèque des textes philosophiques, 1757

Timothy Corrigan (dir.), The Films of Werner Herzog: Between Mirage and History, Methuen, 1986

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Finis Dunaway, Natural Visions, The power of images in American environmental reform, Chicago University Press, 2005

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Julia Hell, Andreas Schönle, Ruins of Modernity, , Duke University Press, Durham and London, 2010

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Henri-Pierre Jeudy, Le désir de catastrophe, Circé, Paris, 2010

Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Khodoss, 1790

John W. Martens, The End of the World: The Apocalyptic Imagination in Film & Television, Winnipeg: J. Gordon Shillingford, 2003

Charles Mitchell, A Guide to Apocalyptic Cinema, Greenwood Press, 2001

Robin L. Murray & Joseph K. Heumann, Ecology and Popular Film, Cinema on the Edge, State University of New York Press, 2009

Of Sea and Soil : The Cinema of Tsuchimoto Noriaki and Ogawa Shinsuke, Sabzian, Courtisane & Cinematek, 2019

Hélène Puiseux, L’apocalypse nucléaire et son cinéma, Cerf, Paris, 1987

Kirsten Moana Thompson. The Cinema of Werner Herzog: Aesthetic Ecstasy and Truth (Directors' Cuts), Brad Prager, Columbia University Press, 2011

Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), dans Œuvres complètes de Voltaire, éd. Garnier, 1877

Barry Weisberg, Ecocide in Indochina. The Ecology of War, Canfield Press, 1970

Sharon L. Zuber & Michael C. Newman, Mercury Pollution, a Transdisciplinary Treatement, CRC Press, 2012

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[1] Walter Benjamin, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, Apple Books, 57, 1935

[2] On trouve peu d’échos sur leurs forces destructrices, ni de traces d’une lecture éco-critique de l’événement, à l’exception d’un article qui compare le centre pétrolier de Bakou à « une sorte de cité lacustre, mais où l’eau pure ombragée de verdure luxuriante est remplacée par des ondes épaisses et empuanties que fuient les oiseaux et les bêtes, et dans le voisinage desquelles les plantes ne poussent plus et les arbres meurent. », in Le Monde illustré, Paris, 16 février 1901, p. 117

[3] Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, Paris, Éditions Vrin, Collection Bibliothèque des textes philosophiques, 1757

[4] Alexandre Regier, « Foundational Ruins. The Lisbon Earthquake and the Sublime », in Ruins of Modernity, Julia Hell, Andreas Schönle, Duke University Press, Durham and London, 2010, 820-862

[5] Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), dans Œuvres complètes de Voltaire, éd. Garnier, 1877, tome 9, 470-479

[6] Ensaios de Kant a propósito do terramoto de 1755, (trad. Luís da Silveira), Lisbonne, 1955, Câmara Municipal de Lisboa, p. 22 e 53) cité par Ana Cristina Araùjo, « La mémoire tragique du désastre de Lisbonne de 1755 », in Les narrations de la mort (dir. Régis Bertrand,  Anne Carol &  Jean-Noël Pelen), coll. Le temps de l’histoire, Presses Universitaires de Provence, 2005

[7] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, Khodoss, p. 42-43

[8] Jean-Baptiste Fressoz, « L’Anthropocène et l’esthétique du sublime », Revue Mouvements, Septembre 2016, < https://mouvements.info/sublime-anthropocene/#_ftn6 >. L’historien est également l’auteur de L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique (Paris, Seuil (coll. L'Univers historique), 2012), de L'Événement Anthropocène. La Terre, l'histoire et nous (Paris, Seuil, 2013, avec Christophe Bonneuil), ou plus récemment de Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècles (Paris, Seuil, 2020, avec Fabien Locher).

[9] Gilles Deleuze, Cinéma 2, L’image temps, Les éditions de minuit, Paris, 1985, p. 206.

[10] Kleespies, I. (2018). Riding the Soviet Iron Horse: A Reading of Viktor Turin's Turksib through the Lens of John Ford. Slavic Review, 77(2), 358-389. Victor Tourine a la particularité d’avoir été formé aux États-Unis, au MIT puis à Hollywood.

[11] Raphaël Nieuwjaer, « Pare Lorentz, essais de cinéma environnemental », Images documentaires n°99/100, 2020, 59

[12] Finis Dunaway, Natural Visions, The power of images in American environmental reform, Chicago University Press, 2005

[13] La même année (1936) sort par exemple le film de fiction San Francisco (W.S Van Dyk) avec Clark Gable dans lequel on chante l'Hymne de bataille de la République en reconstruisant la ville dévastée par le tremblement de terre de 1906.

[14] Citons Berlin : Symphonie d’une ville (Walter Ruttman, 1927), L’Homme à la Caméra (Dziga Vertov, 1929), Rain (Joris Ivens, 1929) ou le méconnu documentaire Powódź (Inondation) des cinéastes polonais Jerzy Bossak et Waclaw Kazmierczak, consacré au débordement de la Vistule au printemps 1947. Portées par l’orchestre musical, sans aucun commentaire, les images dévoilent le spectacle du désastre qui se déroule en direct et s’immiscent au cœur de la turbulente relation de l’homme à la nature. Le film fut le premier à recevoir le Grand Prix du meilleur documentaire lors du festival de Cannes.

[15] Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Éditions du Seuil, 2016, 151. Les deux historiens font référence au concept de brutalisation introduit par George L. Mosse dans ses travaux sur la Première Guerre mondiale.

[16] Citons, parmi d’autres ouvrages de référence, celui de Hélène Puiseux, L'apocalypse nucléaire et son cinéma (Cerf, 1987)

[17] Selon une enquête de la radio-télévision publique allemande Deutsche Welle publiée en août 2020, la célèbre séquence vidéo du bombardement d’Hiroshima, utilisée depuis des décennies dans les médias et documentaires du monde entier, montrerait en fait le bombardement de Nagasaki. La première fausse utilisation de la séquence de Nagasaki figure dans un document militaire intitulé E-6 10 SEC (Inside The Enola Gay) daté de 1945. Lire < https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2020/08/25/ces-images-de-l-explosion-d-hiroshima-qui-n-en-etaient-pas >

[18] Des kilomètres de pellicules ont été confisqués, voire détruits, censurés par les autorités américaines. Ce n’est qu’en 1970 qu’une partie des images tournées par les Japonais (Nippon Eiga-Sha) furent montrées à la télévision (Hiroshima-Nagasaki 1945, produit par Erik Barnouw). Citons également les documentaires Prophecy (Susumu Hani,1982) et Dark Circle (Chris Beaver, 1984) qui utilisent pour la première fois les images en Kodachrome et Technicolor tournées par le lieutenant Daniel A. McGovern, ou encore plus récemment Original Child Bomb (Carey Schonegevel, 2004) qui réunit à la fois les archives américaines et japonaises. Greg Mitchell, Hiroshima Film Cover-up Exposed. Censored 1945 Footage to Air, The Asia-Pacific Journal, Vol.3, Issue 8, 2005

[19] Combat, 8 août 1945

[20] Camille Rougeron, Les Applications de l'explosion thermonucléaire, Paris, Berger-Levrault, 1956, cité dans Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, op. cit, 153

[21] Citons également Sesto continente (Le sixième continent, 1954) de l'Italien Folco Quilici.

[22] « Il y a un aspect dérisoire dans la critique du Monde du silence.  Car enfin les beautés du film sont d’abord celles de la nature et autant donc vaudrait critiquer Dieu. Tout au plus, de ce point de vue, nous est-il permis d’indiquer que ces beautés, en effet, sont ineffables. » André Bazin, « Le Monde du silence », France Observateur, p.38, Mars 1956.

[23] Günther Anders, Der Blick vom Mond. Reflexionen über Weltraumflüge, Munich, C. H. Beck, 1970, 12, cité par Sebastian Vincent Grevsmühl, La Terre vue d’en haut. L’invention de l’environnement global, Le Seuil, 2014

[24] Barry Weisberg, Ecocide in Indochina. The Ecology of War, Canfield Press, 1970, 4

[25] « Pourquoi, pour qui, de quel droit puis-je filmer ? (…) Cette expérience n’est pas le fruit de la littérature ou de l’imagination, il s’agit des victimes, de leur monde, et nous commettons de sang-froid l’atrocité de reproduire au cinéma ce que nous ne devrions pas être autorisés à voir. » Noriaki Tsuchimoto, « Statement on Minamata – The victims and their world », in Of Sea and Soil : The Cinema of Tsuchimoto Noriaki and Ogawa Shinsuke, Sabzian, Courtisane & Cinematek, 2019, 117

[26] Justin Jesty, « Making Mercury Visible. The Minamata documentaries of Tsuchimoto Noriaki », in Mercury Pollution, a Transdisciplinary Treatement, edited by Sharon L. Zuber & Michael C. Newman, CRC Press, 2012, 139-160.

[27] « There are deeper strata of truth in cinema, and that there is such a thing as poetic, ecstatic truth … [this] is mysterious and elusive, and can be reached only through fabrication and imagination and stylisation », écrit-il dans son manifeste de Minnesota en 1999.

Kirsten Moana Thompson. The Cinema of Werner Herzog: Aesthetic Ecstasy and Truth (Directors' Cuts), Brad Prager, Columbia University Press, 2011

[28] Roger Ebert and Gene Walsh, Images at the Horizon: A Workshop with Werner Herzog, Chicago: Facets Multimedia, 1979, 21

[29] Eric Ames, « Herzog, Landscape and Documentary », in Cinema 48, n°2, 2009, University of Texas Press, 59-60

[30] Alan Singer, « Comprehending appearances : Werner Herzog’s ironic sublime », The Films of Werner Herzog: Between Mirage and History, Timothy Corrigan, Methuen, 1986, 183-208

[31] Powaaqatsi (1988) s’attarde sur l’état de transition des pays sous-industrialisés, tandis que Naqoyqatsi : Life at War (2002) évoque la guerre et la violence des civilisations modernes.

[32] John W. Martens, The End of the World: The Apocalyptic Imagination in Film & Television, Winnipeg: J. Gordon Shillingford, 2003 ; Charles Mitchell, A Guide to Apocalyptic Cinema, Greenwood Press, 2001.

[33] Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), chargé d’étudier l'impact de l'activité humaine sur les changements climatiques, est créé en 1988. Deux ans avant, le Conseil International des Unions Scientifiques (ICSU) lança officiellement le Programme International Géosphère-Biosphère (IGBP), le cœur institutionnel de l’écologie globale et de l’approche systémique de la planète Terre, le fameux « Global Change ».

[34] Dominique Noguez, Le Cinéma, Autrement, Paris Union Générale d’Editions, 1977, 62

[35] L’avant-première, en 1992 à Berlin, se termina sous les huées du public et le film fut accusé d’esthétiser de manière immorale et spéculatrice l’atrocité de la Guerre du Golfe.

[36] Jean-Baptiste Fressoz, « L’Anthropocène et l’esthétique du sublime », op. cit

[37] “I do not think that the end is imminent, but one thing is clear: We are only fugitive guests on our planet. Martin Luther, the reformer, was asked: "What would you do, if the world came to an end tomorrow?" and he replied: "I would plant an apple tree." I would start shooting a new film.” - Interview de Werner Herzog par Roger Ebert, < https://www.rogerebert.com/interviews/werner-herzog-tell-me-about-the-iceberg-tell-me-about-your-dreams >

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